René Pons avait écrit, avec un sens attachant du paradoxe, que « les gens qui ne sont pas tristes ne savent pas de quelles joies ils se privent ». Les Éditions de La Voix Domitienne ont récemment édité le dernier ouvrage de René Pons, « Journal retrouvé ». Il faut tout d’abord préciser que cet auteur, dès ses premiers textes, s’est senti pénétré par l’écriture à tel point que celle-ci est devenue la consistance même de sa personne. « En écrivant des mots, je me palpe », a-t-il écrit, précisant « mon propre voyage quotidien dans les mots me suffit ». L’écriture se confondra alors avec son existence, devenant entièrement celle-ci et la littérature sera le seul espace où il aura la sensation d’être en contact avec la réalité. Né à Castelneau-le-Lèz, près de Montpellier en 1932, René Pons après avoir commencé des études de Médecine, décide de s’orienter vers les Lettres. Un goût dévorant pour la littérature le conduit à tenter l’écriture, encouragé par le poète montpelliérain Frédéric-Jacques Temple. Son premier ouvrage, « L’après-midi » (1962), composé de quatre nouvelles, est immédiatement accepté par les Éditions Gallimard, qui publieront ses quatre livres suivants.
Lauréat, en 1997, du Prix de poésie en prose Louis Guillaume, René Pons a essayé plusieurs styles. Il s’est notamment attaché à l’écriture fragmentaire, forme, en définitive, qu’il privilégie. Le « journal » en fait partie, comme plusieurs de ses « Carnets » qui ont été publiés.
Pour René Pons, le « journal » permet de libérer la parole de façon spontanée, directe, au gré des événements, des pensées qui surgissent, des centres d’intérêt du moment. C’est une écriture qui doit se réaliser d’un jet et il privilégie l’instantanéité de l’expression. Il écrit à ce sujet : « […] un livre qui ne vient pas d’un jet est un livre raté. Le livre est un élan qui doit se mener jusqu’au bout, d’un souffle, souffle qui, évidemment, peut durer plusieurs semaines, presque sans retouches sinon des retouches de détail. Jailli d’un coup, il s’achève aussi promptement, au-delà de tout plan, me proposant sa structure non à la suite d’une réflexion, de tâtonnements, mais en un éclair, comme un rêve. » Et il donnera alors beaucoup plus de prix à l’œuvre inachevée qui peut être le propre du « journal », que seul la mort de l’auteur peut interrompre. Comme le poète Fernando Pessoa, dont il est un admirateur, René Pons pense que l’inachèvement d’une œuvre n’est pas une faiblesse, il est au contraire en concordance avec la vie humaine qui est en perpétuelle quête, jamais totalement accomplie. Seule l’œuvre inachevée pourrait donc être qualifiée de « chef d’œuvre ».
Ce « Journal retrouvé » couvre la période « juin 1999-juin 2000 ». C’est un manuscrit qu’il a redécouvert, nous dit-il, « à l’occasion d’un rangement et, après relecture, j’eus envie de le voir paraître ». Et ce fut une excellente idée, car nous retrouvons, d’une façon générale, les qualités stylistiques et la pensée de cet écrivain. Tout d’abord son écriture remarquable par la beauté de ses longues périodes mélodiques, harmonieusement cadencées. René Pons est aussi pianiste, ce qui explique une écriture souvent musicale. Et à ce sujet, la musique est l’art qu’il place au dessus de tous les autres car, selon lui, « le musicien atteint une puissance émotionnelle inégalée par les autres arts ».
Ce journal nous confie ses pensées, ses goûts dans le domaine des arts et des Lettres, ses obsessions, ses réflexions sur l’homme et la société, car il en est un fin analyste. Et ses pensées, à ce sujet, sont assez sombres. Il apparaît donc comme un être « pessimiste ». Lui se dit plutôt « lucide ». Il nous livre ses réflexion, parfois sous la forme d’un aphorisme, parmi lesquels: « Vivre en société, c’est faire semblant », « Pauvre homme, absurde parcelle de conscience inutile, lançant ses vaisseaux toujours plus loin vers l’infini, pour constater qu’il est seul dans son cachot planétaire, attendant une mort sans résurrection », « Je ne suis pas nostalgique de ce qui a été mais de ce qui aurait pu être », « Cette stupide agitation, dans laquelle il n’y a plus ni spontanéité ni vrai plaisir […] me rend triste dans la mesure où elle souligne cette impression d’automatisme que me donne, chaque jour un peu plus, la vie », « L’amour est ce sentiment des plus banal dont chacun s’efforce de faire croire qu’il l’a vécu de façon exceptionnelle. » Ou encore cette définition du haïku (il en écrit: « Saisie d’un émerveillement dans un clin d’œil. »
René Pons a un défau: une extrême modestie et autant de discrétion. Ainsi, il est toujours resté, volontairement, éloigné des milieux littéraires et médiatiques, jusqu’au refus de voir sa photo publiée et allant jusqu’à cette suggestion: que les livres ne portent pas le nom de leur auteur. Pour lui, le texte suffit… « Un écrivain, dit-il, devrait complètement disparaître derrière ses livres et refuser toute clownerie médiatique ». C’est ce qu’il aura toujours refusé.
Alain Artus