Il valait mieux jouer au billard à Tarascon plutôt qu’à Paris. Dans le premier cas la taxe était de 15 francs, dans l’autre elle grimpait à soixante. En 1871, année de la Commune, il s’agissait de trouver de nouveaux impôts et, ce faisant, de déterminer les signes extérieurs de richesse. Comme quoi la créativité en la matière ne date pas d’hier, au moment où se déchaînent les imaginations dans le but de capter toujours plus de blé. Le billard était donc un marqueur et l’idée était de « frapper l’aisance des particuliers » ayant suffisamment d’espace pour en avoir un. C’est pourquoi, ainsi que l’explique un « Guide du contribuable » remontant au tout début du 20e siècle, le législateur dans sa sage mansuétude, avait pris en compte qu’il était moins cher pour la pratique du billard, de disposer d’espace en province et que par conséquent, le prélèvement se devait d’être allégé par rapport aux grandes villes. Édité par la maison Vermot « Le manuel du contribuable, guide sûr pour tous dégrèvements », avait pour auteur est un certain Jean Fisc, histoire de se détendre. Il démontrait page à page, la soif inextinguible de l’État, en cette matière toujours d’actualité.
Quant au consentement à l’impôt, autant exiger d’un lion, avant de les dévorer, de demander la permission aux gazelles. Les argentiers de l’État c’est un peu pareil, dont l’appétit sans limites, ne se rassasie au dessert qu’avec un cortège de majorations. Le signal de satiété en matière fiscale existe d’autant moins que les caisses du pays sont sans fond.
Sur le plan culturel, on peut citer au moins deux penseurs à ce sujet, car il en fut. D’abord Ibn Khaldoun (1332, Tunis, 1406 le Caire) estimant que la « docilité fiscale », n’était ni plus ni moins qu’un acte de soumission pour la plupart des contribuables. Selon lui, les âmes fortes au contraire, préféraient la mort à la dîme. On pense aussi à ce « bon » Robert Malthus (1766-1834) qui estimait, si l’on comprend bien, qu’avec moins de pauvres on n’embêterait moins les riches. Théorie qui a bien sûr été contestée. C’est un peu comme dans les tribunaux: tous ceux que l’on croise ont raison.
Au début du 20e siècle, de grandes inventions comme la TVA ou l’impôt sur le revenu n’existaient pas encore, mais tout était taxable ou sujet à patente. Ainsi, avant d’en arriver au niveau billard, il y avait la contribution sur les « portes et fenêtres », concept supposant que plus votre maison en comptait, plus votre bourse était pleine et donc taxable. Il fallait donc recenser les ouvertures d’une façade et savoir distinguer en contrebas, les portes charretières ou cochères et celles « bâtardes à deux vantaux ». Car les tarifs différaient. Par voie d’affichage, le contribuable savait quand il recevrait la douloureuse, avec un système de déductions et d’abattements à donner le tournis, faute de tableur sur écran.
Cette loi sur les portes et fenêtres, avait été élaborée le 4 frimaire an VII (24 novembre 1798) et s’inspirait de la windows-tax de nos voisins d’outre-Manche. D’après le manuel elle remplaçait celle sur « l’air et la lumière » ce qui peut sembler risible mais non. Car plus on avait des deux, plus on avait les poches garnies. Cette loi avait paraît-il, l’inconvénient d’entraîner les logeurs à construire des logements insalubres (moins d’ouvertures, moins d’aération), afin de payer moins d’impôts.
Ce manuel du contribuable se voulait intelligible, louable intention. Ce qui fait qu’il y était expliqué le régime fiscal d’avant la Révolution avec la « taille », la « corvée », la « capitation » (sommes allant directement au roi et que même le dauphin devait verser) et une forme d’impôt sur le revenu s’intitulant « les décimes et vingtièmes » afin de faire face aux dépenses de guerre. L’ouvrage se lit bien dans le TGV au milieu de nos frères et sœurs assujettis. Mais il ne mentionne pas la gabelle, impôt indirect sur le sel dont Zola disait qu’il était « exécré » (…), que son souvenir grondait encore au fond des hameaux (…). Cette « gabelle odieuse », ce sel que « les familles devaient quand même acheter au roi, toute cette perception inique dont l’arbitraire ameuta et ensanglanta la France ».
Le plus fort d’entre tous reste l’inégalé Maurice Lauré (1917-2001), ce haut fonctionnaire qui inventa la TVA, cet impôt invisible qui surenchérit d’environ 20% nos dépenses. Une idée tellement « géniale » selon l’épithète contenu dans une page-portrait sur le site du ministère des Finances, une tellement « belle invention », qu’elle s’est exportée dans plusieurs dizaines de pays. Elle frappe presque tout le monde là où elle est utilisée, y compris les poètes et les artistes, avec un pourcentage exigible au moment du paiement. Ce qui fait que si la poésie s’échange sous le manteau certains soirs de nuit sans lune, au noir et même dans le noir, il ne faudra pas s’en étonner.
PHB