Gaston Picard, « délicat amant des bonnes lettres »

Avec un patronyme aussi banal que celui d’un personnage de Simenon et une œuvre littéraire qui ne connut qu’un succès d’estime, Gaston Picard n’a sans doute pas bénéficié de la reconnaissance d’un large public. Ce personnage sympathique est pourtant l’un de ceux qui ont le plus contribué à animer la vie littéraire française dans la première moitié du XXe siècle.
Né et mort à Paris (1892-1962), cet infatigable chroniqueur collabora à un grand nombre de revues littéraires, ces petite revues souvent éphémères qui pullulaient en France avant 1940. Lui-même en dirigea deux, en 1911 et 1912 : « L’Heure qui sonne » et « L’Œil de veau ». Cette dernière, sous-titrée « Revue encyclopédique à l’usage des gens d’esprit », était co-dirigée par le jeune compositeur Roland Manuel, et comptait parmi ses collaborateurs un certain Erik Satie.
Au sein de ces publications, Gaston Picard s’était forgé une spécialité : l’enquête. Très en vogue à l’époque, le genre abordait les sujets les plus divers, à la manière des statistiques de nos jours : « Vitesse et littérature » , « Faut-il renverser la tour Eiffel ? », « Avez vous vu le diable ? »… L’une de ces enquêtes se traduisit par un ouvrage bien documenté paru en 1925, « Nos Écrivains définis par eux-mêmes », qui rassemblait les témoignages de près de cent écrivains français. Mais ce qui constitua peut-être l’heure de gloire de Picard fut la création en 1926, avec Georges Charensol, du prix Théophraste Renaudot, dont il fut longtemps le secrétaire. L’idée en était venue aux journalistes lors des interminables heures d’attente des résultats du prix Goncourt. Depuis, le prix Renaudot a souvent révélé de vrais talents en récompensant par exemple Céline (« Voyage au bout de la nuit », 1932), Aragon (« Les Beaux quartiers », 1936) ou Butor (« La Modification »,1957).

Gaston Picard a 22 ans lorsqu’éclate ce qui va bientôt être appelé la Grande Guerre. Très rapidement, avec deux de ses confrères à L’Intransigeant, René Bizet et Fernand Divoire, il crée le « Bulletin des écrivains » (image d’ouverture), un mensuel de quatre pages distribué gratuitement à tous les écrivains enrôlés, et fournissant toutes sortes d’informations, donnant les adresses de tel ou tel soldat blessé, rendant hommage aux disparus, et fournissant même des conseils de lecture pour les soldats des tranchées. Le premier numéro sort au mois de novembre 1914. Sur la première page, Maurice Barrès signe un article sur le lieutenant Charles Péguy, qui vient d’être tué d’une balle à la tête le premier jour de la bataille de la Marne. Nul ne se doutait à l’époque que ce journal, rapidement devenu indispensable à tous les intellectuels appelés au combat, paraîtrait quatre années de suite, apportant à chaque fois son lot de soldats blessés ou morts pour la France. Le dernier numéro, paru en 1919 et qui dresse l’impressionnante liste de tous les écrivains disparus dans la tourmente est particulièrement émouvant.

Gaston Picard fut bien évidement en relation avec Apollinaire (comme tout le monde, avons-nous envie de dire…). Le poète lui dédicaça notamment un exemplaire d’Alcools (« À Gaston Picard délicat amant des bonnes lettres »). Leurs relations devinrent plus étroites lorsque Apollinaire s’était retrouvé au Front. C’est à l’épouse de Gaston Picard que le poète s’adressa pour trouver des marraines de guerre à trois de ses hommes, trois combattants du Nord dont il parlait avec une grande affection.
Apollinaire n’échappa pas à la passion d’enquêteur de Picard. En 1917, la toute nouvelle « Association corporative des écrivains français » imagina la création d’un ministère des arts et lettres destiné à « soutenir le prestige artistique de la France ». La question de savoir ce qu’en pensaient les écrivains suscita chez Apollinaire une réponse assez acerbe sous forme d’un petit poème en huit octosyllabes ( neuf en comptant sa signature), que publia L’Éclair le 27 février 1918 :

« Vous me parlez d’un ministère/Et des Lettres et des Beaux arts/Je vous réponds que c’est la guerre/La guerre avec tous ses hasards/Que pensez vous donc cher confrère/De celui-ci qu’il faudra faire/Et qui serait le ministère/Des Embusqués et des Froussards ».
En évoquant ses relations avec le soldat Apollinaire dans la revue « Le Flâneur des deux rives », bulletin d’études apollinariennes créé en 1954 par Adéma et Décaudin, Gaston Picard cite une lettre adressée par le poète à l’un de ses amis, dans laquelle il écrit : « Avoir du temps à perdre, c’est en général pouvoir en consacrer beaucoup à la méditation et à la vie ».
Une leçon de sagesse ? Un principe de vie? Ne serait-ce que pour nous avoir permis de connaître cette phrase, Gaston Picard mérite bien notre reconnaissance.

Gérard Goutierre

(Les images publiées proviennent de la collection Gérard Goutierre)
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Une réponse à Gaston Picard, « délicat amant des bonnes lettres »

  1. Victor Martin-Schmets dit :

    À Philippe Bonnet

    Monsieur,

    Je lis ou relis votre chronique du 2 septembre 2011. Le n° 4 du « Flâneur des deux rives » fut suivi d’un n° 5 qui comportait une auto-critique de la revue : au clichage, deux vers (tirés du « Brasier ») avaient sauté au dessus de la première ligne de musique (« Des-cen-dant des hau-teurs où pen-se la lu-mière ») et sous la seconde (« Jardin rou-ant plus haut que tous les ciels mo-biles »).

    M.-J. Durry a repris l’articulet en question dans son « Guillaume Apollinaire – Alcools », Paris, Société d’édition d’enseignement supérieur, 1964, tome 3, p. 143.

    Mais peut-être avez-vous dit cela dans une chronique postérieure…

    Bon week end.

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