La fin de vie, c’est le sujet en cours: comment débranche-t-on, comment se débrancher. L’assistance à la naissance c’est naturel mais, pour le coup de bêche fraternel sur l’occiput de l’ami qui n’en peut plus, il faut un cadre. Avec tellement de conditions requises, que le candidat peut être recalé. Pas dans le « Plan 75 » toutefois, un film japonais que la chaîne Arte s’apprête à diffuser (le 19) sur ce thème. Et qui raconte une fable visionnaire dans une société très peu éloignée de la nôtre. Où les plus de 75 ans sont incités à dégager sans faire d’histoires. Le film de la réalisatrice Chie Hayakawa se veut subtil et il l’est. Ce n’est pas un cauchemar qu’elle nous présente. Mais un Japon normal où les autorités calculent la dépense et spéculent sur la fatigue morale des anciens. Et finalement ils légifèrent en ce sens. Avec humanité et avec cœur, pour paraphraser une célèbre formule d’évacuation: elles élaborent un programme bienveillant visant à recruter des candidats et à les accompagner jusqu’au bout, en veillant à ce que le renoncement ne les gagne pas. Pour structurer son film, Chie Hayakawa a mis en avant trois personnages, un recruteur, une accompagnante et une candidate.
Le film est lent et long. Ce n’est pas ici l’efficacité d’un long métrage comme « Mission Impossible » qui a été recherchée. La caméra prend son temps pour nous convaincre au point que l’on se prendrait presque au jeu du candidat au départ. On réfléchit d’autant mieux que le sujet est abordé avec un découpage bien ordonné.
On suit de près le personnage de Michi (image d’ouverture). Une femme qui de toute évidence et pour le moins, n’est plus assaillie par les événements qui enclenchent la joie de vivre. Elle vit une dégradation en trois étapes. D’abord, elle perd son travail dans un hôtel. Ensuite, un avis placardé dans sa cage d’escalier l’informe d’une expulsion prochaine de son logement. Et puis la solitude des vieilles personnes, bien connue, l’étreint. Quand elle prend son téléphone, elle se sent importune. Elle devient mûre pour déposer sa candidature au programme expérimental. D’autant qu’il est prévu juste après la signature, une belle somme d’argent pour profiter des derniers temps. De surcroît, afin de consacrer uniquement cette enveloppe aux ultimes plaisirs, il lui a été proposé une option gratuite de crémation collective. All inclusive.
Michi intègre le processus. Et profite de quelqu’un, une jeune femme, qui lui parle régulièrement par tranches de quinze minutes. Un exercice pas facile pour l’accompagnante car il s’agit d’être gentil et compréhensif mais, il n’est surtout pas question de redonner le goût à la vie. C’est ainsi que Michi retrouve une certaine gaieté, le goût des choses, ses soucis sont derrière elle. Son sourire est revenu. Il est loin le dernier job qu’elle avait trouvé, consistant à agiter un bâton lumineux la nuit au milieu de la circulation. Une chaleur perdue l’enveloppe à nouveau comme un gilet de cachemire.
Les plus de soixante-quinze ans coûtent trop cher à la collectivité et le « Plan 75 ans » est une si bonne idée d’économie, que le gouvernement envisage d’en abaisser le seuil. Le film qui porte ce nom chiffré, nous fait frissonner parce qu’il vise juste. Y compris avec le personnage de Maria (ci-contre) une aide-soignante originaire des Philippines. C’est elle qui au téléphone, tient la main de Michi. C’est elle aussi qui finit par voir la cliente en vrai alors que ce n’est pas permis afin de prévenir tout attachement. Elle, tout comme le recruteur Hiromu, finissent par comprendre ce qu’on leur fait faire. Ce qui les conduit à une forme de transgression du processus, mais sans éclat, à la japonaise, en inclinant la tête. Ils s’écartent du programme convenu, car leur humanité propre, prend finalement le dessus.
Cette convergence des trois protagonistes regroupés dans le même mouvement sociétal est admirablement conduite. « Plan 75 » est un film sans ficelles, dépourvu de ces formules conçues pour faire mouche à tous les coups et pondues par des dialoguistes professionnels. C’est comme cela que paradoxalement, l’on se fait attraper. Et aussi parce qu’il nous fait aimer la banalité de la vie et la joie de respirer, celle qui ne devrait jamais nous quitter.
PHB
Cher Philippe
bonne idée de rappeler à nos yeux et à nos coeurs ce très joli film
il y a, au bout ducompte, un peu de sérénité. Il ne faudra pas s’en priver
Où peut-être, par ces œuvres, cinématographiques ou autres, l’on retrouvera une vraie acception de la conscience, ni moralisatrice, ni psychanalytiquement inatteignable, ni neuronale ou intellectuelle… mais sa réalité de faculté première de la relation ;
c’est bien la relation qui fait de nous des êtres humains à part entière, doués d’une parole transmise, qui transforme l’animal-homme en personne humaine.
Sans doute est-ce cette relation, simplement vitale qui transgresse la règle construite au profit de ce qui nous constitue.
(Merci de l’information, et de la chronique…)