« Picasso sculptures », le génie dans ses formes

"Picasso sculptures", aspect de l'exposition. Photo: PHB/LSDPAvec un acharnement névrotique, Pablo Picasso a fait en sorte que beaucoup de ses peintures échappent au deux dimensions du plan. Ses créations graphiques ont tellement exaspéré et chahuté l’idée de surface inerte que le monde de l’art ne s’en est pas encore tout à fait remis. Et quand nous sommes face à ses sculptures, exposées jusqu’au 28 août au sein du musée qui porte son nom, c’est comme si, dans cet univers naturellement tri-dimensionnel, on entrait cette fois de plain-pied dans sa peinture. Inutile de préciser que cette expérience paradoxale  vaut le détour.

Le musée en a réuni 240 de toute matière, en un parcours chronologique des plus simples à suivre. Des choix ont été faits au grand bénéfice de l’encombrement. La plupart des œuvres sont accompagnées d’un double (variation, agrandissement…) que vient souvent compléter l’ombre projetée sur le mur. L’œil s’amuse mais on ne le réalise vraiment qu’en retrouvant le monde du dehors.

détail de la "Femme au feuillage". Photo: PHB/LSDP

Détail de la « Femme au feuillage ». Photo: PHB/LSDP

Au hasard ou presque, le visiteur sera bien inspiré de s’attarder devant cette « Femme au feuillage », un plâtre original issu d’une collection particulière. Picasso se voulait poète, mais il l’était et dans ce cas-là, ô combien. Quelle délicatesse, quelle émotion ressortent de ce personnage au visage rectangulaire portant des feuilles d’une main et semblant demander la permission de se présenter de l’autre. Cette sculpture qui s’invite si poliment dans notre univers mental est ni plus ni moins merveilleuse. C’est un être irréel que Picasso, en lui donnant vie,  a fait sortir de la nuit. Elle date des années trente quand l’artiste fait l’acquisition en Normandie du domaine de Boisgeloup, près de Gisors.

Autre exemple extraordinaire cette liseuse allongée en bronze peint qu’il réalise en 1952. Tout le génie de Picasso est dans cette façon qu’il a eue de lui rallonger le cou, créant un aplomb inédit entre la tête et le livre, fixant notre attention à nous, rien qu’avec ce décalage bien plus puissant qu’il n’en a l’air.

« La femmes aux bras écartés » est quant à elle apparue sur un carnet de dessin en 1927. Dans les années soixante elle est « agrandie » par le sculpteur Carl Nesjar par une technique originale de bétogravure consistant à projeter du sable sur la surface. Partie du croquis, « La femme aux bras écartés » a donc connu par la suite la maquette en carton, la tôle et le béton gravé. Celle qui nous est donnée à voir est dans sa version tôle prédécoupée et date de 1961.

Détail de la "femme aux bras écartés". Photo: PHB/LSDP

Détail de la « femme aux bras écartés ». Photo: PHB/LSDP

La capacité de Picasso à transfigurer le corps des femmes laissera toujours rêveur. L’une des clés étant certainement que la réalité anatomique féminine l’ennuyait par ses limites et que son génie a su la débrider de façon extraordinaire. Des femmes il en a fait des fées, des elfes, des succubes, des extra-terrestres, des hallucinations géométriques, des sphinges, réduisant en poussière et pour longtemps la fichue norme anthropométrique.

Certains attendant dans le vestibule, il est donc temps de le dire: la scénographie a réservé une pièce entière au projet de sculpture posthume dédié à son ami Apollinaire. Dans ce large local, figure un agrandissement (voir en bas) de la maquette MP265. Il a été réalisé par les élèves de l’Ecole des maîtres ouvriers de la métallurgie de Longwy en 1985. A côté des projets en taille réduite qui sont présentés dans la pièce à côté, elle prouve bien qu’elle aurait eu toute sa place dans le petit square Laurent Prache (1) qui jouxte l’église Saint-Germain des-Prés, jardin dans lequel Picasso, exaspéré par les hésitations des proches du poète, a fini par leur concéder une tête toujours là et représentant Dora Maar, sans rapport direct avec le sujet. L’autre sculpture restée à l’état de projet, aurait vraiment rendu hommage à Guillaume Apollinaire, en tout ce qu’elle exprimait de spatial, d’inspiration dynamique, de légèreté, d’essence céleste, d’humour, de style enfin. Au gré des apparitions des maquettes, le mal a été partiellement réparé. A noter que l’un des spécialistes d’Apollinaire, Peter Read, donnera le 7 juin au musée Picasso une conférence à ce sujet.

PHB

« Picasso sculptures », du 8 mars au 28 août 2016, Musée Picasso, 5 rue de Thorigny (3e)

(1) Relire l’article de Gérard Goutierre contenant une des anecdotes les plus étonnantes sur le square Laurent Prache et le buste de Dora Maar.

La maquette agrandie du projet Apollinaire. Photo: PHB/LSDP

La maquette agrandie du projet Apollinaire. Photo: PHB/LSDP

 

 

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