Avec « Ave, César! », les frères Coen ont encore frappé !

L'affiche "Ave Cesar"Avec leur nouveau film «Ave, César!», les Coen brothers poursuivent leur œuvre inclassable et unique basée sur une forme d’humour qu’ils ont inventée.
A commencer par leur nom, puisqu’ils ne peuvent pas s’appeler Cohen comme tout le monde (d’accord, c’est la faute de leur papa, mais quand même… un papa économiste et une maman historienne de l’art qui ont eu Joël en 1954 et Ethan en 1957, et les ont élevés dans la proche banlieue de Minneapolis dans le Minnesota. On voit le résultat…).

Je ne connais pas d’autre exemple à Hollywood de deux frères ayant produit comme eux toute une œuvre cinématographique. Ils font tout ensemble : avoir l’idée du film, écrire le film, puis Ethan le produit et Joël le réalise et le monte, mais le plus souvent ils font tout à deux.
D’ailleurs où prennent-ils leurs idées ? Dans leurs têtes ou dans la réalité ? Mais dans quelle réalité ?

Leurs cibles favorites sont les ploucs de l’Amérique profonde comme dans «Fargo», «The Barber», «O’Brother», ou «The big Lebowski», mais de façon générale, tous les idiots, faux jetons, gangsters, loufoques, ambitieux et marginaux en tout genre, bien ancrés dans la réalité américaine (ou plutôt dans leur vision de la réalité américaine). Surtout les loosers toutes catégories, les gros surtout. Ils adorent les gens gros, les très gros. On se demande ce qu’ils ont contre les gros. Ou de quoi ils sont le symbole pour eux…
Les  
Coen brothers ont souvent refait un film sur un même thème à dix ans d’intervalle. Ils viennent donc de commettre leur deuxième film sur Hollywood, le premier, tourné en 1991, «Barton Fink», racontant les déboires d’un célèbre écrivain newyorkais parachuté à Hollywood (les exemples d’auteurs fameux attirés par les dollars hollywoodiens abondent, de Scott Fitzgerald à William Faulkner ou Raymond Chandler).
Dans ce film qui leur valut la palme d’or à Cannes, leur vision de Hollywood m’avait paru d’une tristesse insondable, moi qui avais vécu sept ans à Los Angeles à partir de 1977, passant mon temps comme journaliste dans les studios de cinéma (MGM, Fox, United Artists, Paramount, Universal, Warner), à la recherche de la légende hollywoodienne. Les mots que j’entendais le plus souvent étant «W
e are survivors.  (Nous sommes des survivants) et «the Industry» ( l’Industrie ), car c’est ainsi qu’on appelle ici la fabrique à rêves depuis toujours.

Cette fois les Coen brothers ont attendu vingt-cinq ans, et longuement mûri le sujet paraît-il. L’atmosphère d’Hollywood n’a plus rien à voir avec celle de «Barton Fink», et «Hail, Caesar !»  apparaît au contraire comme un hommage à la Grande Epoque, même s’il est fondé sur une relation mêlant l’amour à la haine.

A peu près chaque épisode est en référence au Hollywood d’autrefois, et comme à leur habitude, les frères Coen installent une scène et la laissent se développer d’elle-même, pourrait-on dire, en révélant (et nous laissant déguster) peu à peu sa force corrosive. Et passent d’une séquence à l’autre sans trop se soucier de transition, mais ce n’est qu’une ruse…

"Avé César". Source image:  © Universal Pictures International France

« Ave César ». © Universal Pictures International France

On retrouve quelques grands moments hollywoodiens : les films nautiques à la Esther Williams, les comédies musicales à la Gene Kelly, les comédies sophistiquées à la George Cukor, les polars, les grands mélos plus ou moins politiquement orientés, les westerns bêtifiants ou déchaînés, et les péplums, of course.
Bien entendu, les deux frères s’empressent de nous montrer l’envers du décor. Ainsi l’Esther Williams du film, incarnée par Scarlett Johansson, se montre
backstage dotée d’une voix de fausset, hargneuse, obsédée sexuelle, et prête absolument à tout pour sa carrière.

Quant à George Clooney,  «la  star mondiale» du studio pompeusement baptisé «Capitol Pictures» et du péplum en tournage «Hail, Caesar !», chacun sait que c’est un idiot, un buveur et un dragueur. Pas mal d’anciennes stars ayant pu servir de modèles…
Un contre-emploi évident pour le beau George, que les frères Coen s’obstinent à employer comme l’idiot de service (l’un des idiots de service plus exactement) dans leurs films, comme dans «O’Brother», «Intolérable cruauté» ou «Burn after reading». Les frères Coen voudraient-ils le punir d’être à la fois trop beau et trop intelligent, lui qui est aussi politiquement et socialement engagé? Ainsi lorsqu’il est allé présenter le film à Berlin cet hiver, il a demandé un entretien à Angela Merkel pour discuter du problème des migrants.
Mais il faut dire que le spectacle du beau George ahuri en jupette de cuir à lanières à la romaine lui arrivant juste au-dessus du genou vaut le film à lui seul ! Jusqu’à sa monumentale bourde finale !

"Avé César". Source image:  © Universal Pictures International France

« Ave César ». © Universal Pictures International France

Un sommet du film est cette scène où  «la  star mondiale» de «Capitol Pictures», après avoir été droguée et kidnappée dans sa loge, se retrouve en jupette dans une magnifique pièce à grandes baies vitrées donnant sur l’océan, au milieu d’un groupe d’hommes, dont un certain professeur Marcuse aux cheveux blancs, lui tenant des discours abscons auxquels il ne comprend (et nous non plus) strictement rien !
Bref, l’acteur pas très futé aura beaucoup de mal à réaliser qu’il est entouré d’une assemblée de charmants intellectuels communistes militants, lui demandant gentiment de se faire leur intermédiaire auprès du studio pour obtenir une rançon servant à financer sa liberté et leur belle cause ! Un bon exemple de la façon dont les
Coen brothers détournent par le rire un sujet tout à fait sérieux, celui du maccarthysme, qui a déchiré le pays tout entier, et Hollywood en particulier, pendant près de 20 ans.

J’ai vu deux fois le film en cinq jours, et je sais que j’ai encore bien des choses à découvrir, étant donné ses références innombrables à l’histoire d’Hollywood. Disons enfin que les dialogues sont plus brillants que jamais, et que sur le plan visuel, les images n’ont jamais été aussi magnifiques dans un film des frères Coen, en hommage à la splendeur perdue des studios hollywoodiens.

Lise Bloch-Morhange

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3 réponses à Avec « Ave, César! », les frères Coen ont encore frappé !

  1. person philippe dit :

    Question frères, il y en a des tripotées à Hollywood !
    à commencer par les frères Farrelly (« Mary à tout prix »), beaucoup plus drôles et moins cyniques que les Coen, surfaits rois de l’effet. Je vous envie de supporter ces insupportables !
    Prétendre dénoncer la violence et la vulgarité par la violence et la vulgarité aboutit à un cinéma violent et vulgaire.
    Je signale toujours à la police toute personne qui aime « The Big Lebowski » car c’est forcément un psychopathe…

    Autres frères hollywoodiens : les frères Wachowski (« Matrix »)… Sauf que Larry est devenu Lana… Ce qui en fait désormais un frère et une soeur !

  2. Pierre DERENNE dit :

    Jusqu’à présent j’avais entendu des : « bof »!
    Là ça à l’air plus enthousiaste. Même un peu trop…

  3. Isabelle Fauvel dit :

    J’ai vu le film et j’ai bien aimé.

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