L’état de siège aux Gobelins

  1. Avec la conscience professionnelle d’un photo-reporter, l’auteur de la tapisserie géante a ajouté une légende. Le texte indique qu’il s’agit du mariage de Louis XIV avec Marie-Thérèse d’Autriche. La cérémonie se déroulait à Saint-Jean de Luz le 9 juin 1660 mais ce qui compte en l’occurrence c’est le fauteuil à droite au premier plan. Parce que c’est lui le sujet de l’exposition qui vient de débuter à la Galerie des Gobelins avec le concours du Mobilier National. Une longue histoire de préséance et de séants.

C’est une exposition pour le moins curieuse de par son agencement général, lequel a été confié au décorateur Jacques Garcia. Dans une notice à la disposition du public il y est présenté comme le « magicien des intérieurs« . Son intervention est pour le moins contrastée. Pour cette scénographie devant figurer à partir de 300 pièces, 300 ans d’histoire du siège, Jacques Garcia a fait simple dans la plupart des cas, jouant seulement sur « des organisations différentes, parfois ludiques, parfois moins« . Sauf que l’ensemble a un petit côté garde-meubles avec un mélange des genres qui n’aide pas vraiment à trouver des repères. Cet aspect fantaisiste, pratiquant la rupture, jouant de l’incohérence, sauve cependant le propos général de la monotonie. Différents styles se voient disposés ça et là, piquant finalement notre curiosité.

Par chance, les organisateurs ont délivré au même Jacques Garcia, une carte blanche pour investir une pièce à l’étage où il a pu laisser libre cours à son imagination. Le résultat est assez extraordinaire et son auteur mérite bien, dans ce cas précis, le titre de magicien. L’artiste s’est substitué au décorateur. Grâce en effet à un savant jeu de miroirs, Jacques Garcia a purement et simplement aboli les parois de la pièce avec un arbre inversé au centre, provoquant chez le visiteur un vertige onirique tout à fait dépaysant. Le regard se perd avec délices dans un puits sans fond, invitant notre imagination à un bain hallucinogène tout de même rare dans le tout venant des expositions en cours. Au point que l’idée même de siège s’y dissout dans les lumières contrastées du rêve. Une réussite totale.

aperçu de la carte blanche à Jacques Garcia. Photo: PHB/LSDP

Alors que le reste de l’exposition, nettement moins fertile, nous en offre à penser sur le rôle même de l’artefact conçu, un beau jour de l’humanité pas fait comme un autre, pour s’asseoir. Dans certaines sociétés dites primitives, s’asseoir, croiser les jambes et poser ses deux bras sur des accoudoirs relèvent d’une ambition extravagante voire comique. Un indien d’une tribu d’Amérique du Sud, décrit dans un roman du siècle précédent, adoptera la position accroupie et les bras pendants le long du corps comme la position la plus naturelle s’il lui vient seulement à l’idée de réfléchir à une question aussi oiseuse. La chaise, le fauteuil, le trône, ont été conçus, du moins pour ceux qui nous sont montrés, pour afficher une appartenance sociale du premier au dernier cercle. Dans une formidable exposition organisée en 2013, le Musée Dapper (1) nous avait expliqué combien le lien entre un Africain et son siège pouvait être important. Au point qu’il n’y  avait pas de secret entre un homme et le mobilier sur lequel il avait coutume de se poser. Qu’un simple tabouret était le gardien d’états d’âme dont son propriétaire n’avait pas besoin dans les intervalles de la vie debout.

Dans nos sociétés modernes le bouchon n’a pas été poussé aussi loin faute sans doute d’une spiritualité suffisante. Mais chacun aura pu vérifier un jour, moyennant un minimum de sensibilité, la transfusion bizarre, éphémère, qui s’opère en prenant la place du chef, dans son fauteuil. Tout ce qui nous est donné à voir à la Galerie des Gobelins a été vidé de cette substance immatérielle. C’est l’inertie fatale, la stérilisation cruelle qui accompagne les objets au musée. Les seuls qui soient encore vivants, en marge de toutes ces belles manifestations de nos meilleures lignées d’ébénistes, ce sont les sièges des agents de surveillance. Ils sont anonymes mais utiles, quoique un peu saturés de l’ennui propre à la fonction. Faudrait s’asseoir dessus pour connaître les pensées croisées de ses utilisateurs.

PHB

La chaise pour les agents de musée à la Galerie des Gobelins. Photo: PHB/LSDP

« Sièges en société, du Roi-Soleil à Marianne » Galerie des Gobelins, jusqu’au 24 septembre

(1) L’expo du Musée Dapper en 2013

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