Apollinaire, 11 rue de Kerguelen

Lorsqu’il écrit au collectionneur Jacques Doucet depuis Bénodet, Guillaume Apollinaire fait joliment allusion à une Vierge qui se trouve dans l’église Saint-Thomas, en bas de la rue Kerguelen où il séjourne. Il dit qu’il aime à Bénodet « Notre Dame de Pitié, moitié bleue et moitié couleur cerise ». Dans sa Correspondance Générale de l’écrivain, parue en 2016, Victor Martin-Schmets, précise dans une note de bas de page que la statue en question en bois polychrome et représentant une Vierge assise avait été sciée par le bas à l’initiative du curé car elle était mangée par les vers…

… pour ensuite être abritée au presbytère selon un constat daté de 1994. Mais le presbytère a depuis été vendu et la Vierge tronquée, dans sa beauté aussi intense que discrète, est revenue à l’église Saint-Thomas. Elle est logée dans une arcade basse, protégée par une paroi en verre. Et c’est bien celle dont les couleurs cerise et bleue (aujourd’hui passées) avaient frappé Guillaume Apollinaire en 1917 selon une confirmation du curé actuel Armand Guézingar.

Apollinaire est parti se reposer à Bénodet en août 1917, comptant au passage, peaufiner les premières épreuves de ses futurs Calligrammes. Il y retrouve Ruby (Jacqueline), sa future épouse ainsi que l’artiste Irène Lagut. Ils se sont installés rue de Kerguelen dans un petit hôtel qui existe toujours mais dont les rénovations successives ont effacé toute trace du passé. À l’accueil, nul ne se souvient des chambres que le trio avait occupées. En haut de la rue se trouvent la poste, la mairie, et en bas la fameuse église Saint-Thomas qui domine l’Odet.

La rue de Kerguelen à Bénodet. Photo: PHB/LSDP

« Plus douce encore que ne sonne son nom », la rivière Odet participe pour beaucoup au charme de cette petite cité, faisant de ses eaux tranquilles une liaison facile avec Quimper. Quand Apollinaire descendait sur le quai, il pouvait voir son embouchure vers la gauche. Une vraie réussite paysagère pouvant déclencher de ces songes que la mémoire par la suite, décolore.

C’est le deuxième épisode breton de l’écrivain après la Baule (1) en 1913 et avant Kervoyal (2) en 1918. Officiellement, il est toujours soldat mais sa blessure au crâne en mars 1916, l’a écarté définitivement du front. C’est ainsi qu’il écrit: « Loin de la guerre atroce et des coups de canon/Bénodet ne sait pas celle-là qu’il préfère/La mer aux mille écueils ou sa tendre rivière/L’Odet plus douce encore que ne sonne son nom ».

On imagine facilement qu’il a dû prendre du plaisir à se promener dans les rues de Bénodet, à profiter de sa jolie baie tout en faisant un saut à Quimper, afin de visiter la famille de son ami le poète Max Jacob. Il le confirme d’ailleurs à Paul Léautaud dans une carte postale où il lui écrit avec ses « amitiés » que le petit port breton lui fait « penser à la Côte d’Azur car voici son climat ses figuiers son ciel pur ».

Mais Apollinaire sait qu’il n’est pas « where the action is » comme le disent les anglo-saxons. Sa vie est à Paris. La baie de Bénodet a beau être irrésistible, il enjoint néanmoins Max Jabob, sur une carte datée du 31 août, de le retrouver au plus vite au Café de Flore Boulevard Saint-Germain. Là où ont été créées quatre ans plus tôt, Les Soirées de Paris.

PHB

(1) À propos de la Baule
(2) À propos de Kervoyal

L’embouchure de l’Odet en 2017. Photo: PHB/LSDP

Print Friendly, PDF & Email
N'hésitez pas à partager
Ce contenu a été publié dans Apollinaire. Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.