Quarante ans ou le bel âge de l’OCP

Ce fut l’un des événements de la rentrée musicale parisienne : le 19 septembre, on a fêté très joyeusement les quarante ans de l’Orchestre de chambre de Paris (OCP) au Théâtre des Champs-Élysées plein à ras bord, jusque dans les plus hauts cintres.
D’ailleurs on nous a annoncé, en préambule, la double et auguste présence de la ministre de la Culture et de la maire de Paris. Annonce faite par Brigitte Lefèvre, présidente de l’orchestre et longtemps directrice de la danse à l’Opéra de Paris.

Si la salle n’a pas bronché au nom de Françoise Nyssen, bien pâle ministre de la Culture engluée dans diverses affaires d’urbanisme (voir «Le Canard Enchaîné»), le nom de la maire de Paris a provoqué une sévère bronca qui m’a réjouie, car non seulement Mme Hidalgo a encouragé le massacre des Serres d’Auteuil, l’un des plus beaux jardins de Paris, mais ne fait preuve d’aucun respect pour le patrimoine parisien en général, qu’elle détruit méthodiquement (voir notamment son réaménagement des places parisiennes). Et si la mairie de Paris soutient financièrement l’orchestre, ce n’est certes pas à son initiative, puisque cela date de la fondation en 1978.
Une bronca dans un lieu aussi chic étant exceptionnelle, Brigitte Lefèvre en a été choquée, et s’est fait une obligation de faire applaudir la maire de Paris, comme si le public de cet endroit sélect se devait de ne pas avoir d’opinion personnelle. Or le mal était fait, comme on dit.

Mais oublions la bronca, l’atmosphère était à la fête, puisqu’on célébrait les quarante ans de cet orchestre appelé Ensemble orchestral de Paris à sa création, dont le concert inaugural eut lieu le 20 novembre 1978 au Théâtre de la Ville. La naissance d’un orchestre est un peu comme celle d’un enfant, comment prévoir quel sera son destin ? Atteindra-t-il seulement vingt ans, trente ans, quarante ans, l’âge médian de la vie, le bel âge ?
L’idée plus qu’audacieuse et risquée du violoniste et chef fondateur Jean-Pierre Wallez était de proposer, à côté des grandes formations symphoniques parisiennes, un orchestre dédié à la musique de chambre. La musique de chambre étant à l’orchestre symphonique, pourrait-on dire, ce qu’est le quatuor pour les solistes, c’est-à-dire la quintessence même de la musique.
Eh bien l’Ensemble orchestral démarra très fort : dès l’année suivante, le jeune phénomène Seiji Ozawa le dirigeait dans «La Création» de Haydn à la salle Pleyel, alors qu’en 1981 Yehudi Menuhin présidait de son violon à un programme Mozart. Et la première grande tournée, ces tournées qui forgent la réputation internationale des orchestres, se déroulait dès 1981 en Corée et au Japon.
Puis affirmant un intérêt non démenti pour le contemporain, l’orchestre interpréta du Philippe Hersant à la salle Gaveau en 1982, et investissait pour la première fois le Théâtre des Champs-Elysées en avril 1983 pour accompagner Emil Gilels et sa fille Elena jouant Mozart.
Heureuse époque, suivie de bien d’autres, celle du grand maestro Amin Jordan accompagnant début 1990 Martha Argerich, celle du chef français Jean-Jacques Kantorow, celle de l’Américain John Nelson entraînant les musiciens à Notre-Dame-de-Paris ou à la Basilique de Saint-Denis pour de grands oratorios de Bach ou Berlioz, son cheval de bataille.

Nous arrivons à l’année 2012, où l’ensemble prend le nom d’Orchestre de chambre de Paris, mais il subira quelque flottements lors des années suivantes. Jusqu’à l’arrivée en 2015 du chef actuel, Douglas Boyd, né en Écosse mais vivant à Londres, quant il n’est pas en train de parcourir le monde la baguette à la main (voir mon article du 12 décembre 2017). Pour lui, cet anniversaire est particulièrement émouvant, car il sonne l’heure où les membres fondateurs passent le flambeau à une nouvelle génération de musiciens.
Et comme à son habitude, taraudé par le désir de faire plaisir à la fois aux musiciens et au public, mister Boyd nous a concocté un programme peu banal, symbolisant les multiples vocations de l’orchestre, jugez plutôt :
création mondiale pour ténor et orchestre du jeune compositeur français Arthur Lavandier «Le Périple d’Hannon» (20 minutes) ; «Les Illuminations» de Benjamin Britten (20 minutes) pour ténor et orchestre ; «Tzigane» de Ravel (11 minutes) pour violon et orchestre ; «Symphonie n°40 en sol mineur» de Mozart (25 minutes).

Je ne connaissais pas l’œuvre de Lavandier, et sa déconcertante odyssée maritime du navigateur carthaginois Hannon (parti fonder une colonie sur la côte Ouest de l’Afrique au 6ème siècle avant notre ère) m’a laissée un peu sur le rivage, éprouvant du mal à me laisser emporter par la prosodie du ténor James Way. Aucun problème, par contre, avec le ténor vétéran Mark Padmore, très inspiré dans «Les Illuminations » de Rimbaud, à ceci près qu’aimant tellement entendre Britten «en anglais», j’étais un peu frustrée de l’entendre «en français», fusse dans le poème de Rimbaud. Pour l’éblouissant «Tzigane» de Ravel, maestro Boyd avait fait appel au «violon solo super soliste» de l’orchestre, la blonde Deborah Nemtanu (dont la sœur, la brune Sarah, est premier violon solo de l’Orchestre national de France); et pour une fois, le maestro n’avait pas clos la soirée par une symphonie de Haydn, mais avec la quarantième de Mozart, en clin d’œil au quarantième birthday.

Dans une vidéo visible sur le site internet de l’orchestre, on peut voir le directeur musical himself, sur fond d’escalier du hall du TCE, tapis rouge et balustrade noir Art déco, confier son désir de «célébrer l’alliance franco-anglaise» de façon un peu naïve, me semble-t-il, notamment avec ce Britten «en français». Mais saluons son charmant accent français, et sa façon de promouvoir avec feu les multiples vocations de «son» orchestre à travers ce concert inaugural comme à travers toute la saison 18-19 : défendre quatre siècles de musique, du baroque au contemporain, avec ses quarante-trois musiciens ; mettre la voix à l’honneur ; et porter la bonne parole musicale là où on ne l’attend pas toujours, dans les lycées, les prisons, au cœur des cités, ou encore dans les cours du Marais en juillet prochain.

Sur le plan vocal, il y a aura des rendez-vous  bien alléchants, notamment :
Stephanie d’Oustrac chantant Mozart en novembre au TCE ; must absolu, la sublime mezzo américaine Joyce DiDonato dans «Maria Stuarda» de Donizetti le 6 décembre (coproduction «Les Grandes Voix»); gala «bel canto jeune génération» le 11 décembre à la Philharmonie de Paris (une des résidences de l’OCP), ainsi que «L’Enfance du Christ» de Berlioz le 12 janvier ; «Winterreise», le sublime «Voyage d’hiver» de Schubert, distillé par Mark Padmore  le 14 février au TCE; puis «Ariane à Naxos» de Strauss en mars au TCE et «Stabat Mater» de Rossini (ah la musique religieuse de Rossini !) avec Sonya Yoncheva superstar le 28 mai à la Philharmonie ; «Madame Favart» d’Offenbach à l’Opéra Comique, en juin 2019, fermant la marche lyrique.
Et bien entendu, puisque c’est « l’ADN de l’orchestre » ( expression consacrée ! ) musique de chambre avec notamment des pointures françaises de stature internationale comme le flutiste Emmanuel Pahud ou le hautboïste François Leleux.
Sans oublier la saison chambriste des musiciens de l’orchestre dans la délicieuse salle Cortot.

Lise Bloch-Morhange

www.orchestredechambredeparis.com

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