Honnêtement ce serait dommage d’attendre le 22e colloque sur Apollinaire qui se tiendra à Stavelot en 2013 pour découvrir cette si charmante bourgade des Ardennes belges au sein de laquelle le poète vécut, en 1899, quelques mois déterminants pour le reste de son œuvre créatrice.
Quelque 112 années après son départ «à la cloche de bois» de la pension Constant, Stavelot n’a probablement pas beaucoup changé, ses axes de circulation sont les mêmes, la rivière Amblève coule toujours dans le même sens et Saint-Remacle affublé de son long blaze personnalise encore la ville à travers ses effigies qui jalonnent les différentes promenades possibles.
Pour une ville de quelque 7000 habitants, la vie culturelle y est hors normes. La faute à Saint-Remacle et à son abbaye séculaire transformée en vaste centre culturel. Qu’on en juge : ce samedi 3 septembre 2011, dans une chaleur comparable à l’été 1899, le touriste de passage pouvait donc assister au colloque sur l’œuvre d’Apollinaire qui se tient tous les deux ans, découvrir, au cœur de cette wallonie profonde, une exposition sur Andy Warhol (mais oui) avec les Rolling Stones en musique de fond, admirer dans les caves de cette rouge enceinte les bolides qui ont fait la réputation du circuit voisin de Spa-Francorchamps et sans oublier de parcourir la scénographie dédiée à l’art contemporain dans la galerie située à l’entrée du domaine. Il y a beaucoup de villes 10 à 20 fois plus importantes qui font 10 à 20 fois moins bien.
Sans compter que cette abbaye comporte un petit musée dédié à Apollinaire. Il y a là à peu près toutes les photos connues d’un poète hélas si peu photographié. Tous ces clichés n’en sont que plus précieux. Mais il y a surtout ce petit trésor racheté à un antiquaire sous la forme d’une modeste feuille de papier sur laquelle Apollinaire a composé un poème à l’adresse de Marie Dubois une jeune stavelotaine dont il était épris. C’est un acrostiche en ce sens que chaque lettre de chaque vers permet de lire verticalement le prénom légèrement modifié de la jeune fille.
Ce poème est écrit en wallon liégeois, c’est à dire dans une langue proche du wallon ardennais qu’aurait logiquement dû utiliser Apollinaire, mais maîtriser l’usage de la première en trois mois constituait déjà un petit exploit.
Même sans traduction il se comprend un peu :
Dans un petit livre sur la question (Marèye ou Apollinaire et le wallon de Stavelot) Emile Meurice a à la fois traduit et commenté ce poème.
D’abord crapaute signifie «ma bonne amie» (soit un terme proche de son équivalent crapaud en wallon) mais il est vrai que dans cette langue on peut parler en apparence crûment pour exprimer seulement de l’affection. On peut ainsi dire «mi vî cou» (mon vieux cul…) à sa femme sans pour autant être grossier. D’autre part Apollinaire vouvoie celle qu’il aime dans une région où le tutoiement est facilement vécu comme une impolitesse. Quel beau poème en tout cas avec ce «betch d’amour» qu’il faut traduire par un «baiser» ou un «bécot».
Et comme les histoires d’amour finissent mal en général il y a ce dernier vers simple mais poignant qui dit «elle est triste la vie, il faut que notre amour meure».
Quelle jolie petite ville que Stavelot. Si vous voulez y aller, prenez le TGV pour Liège puis un train jusqu’à Trois-Ponts et le bus 745 qui vous déposera à Stavelot. Vous pouvez éventuellement descendre à l’hôtel «Au mal aimé» mais franchement, sous ce titre, l’ancienne pension Constant fait un peu figure de nasse à apollinarien dévôt.
Merci pour cette balade ardennaise ! qui redit au passage que la Belgique n’a pas toujours été, pour les poètes français, un « bâton merdeux ».
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