Chapeau, Bob !

Ce titre ne colle pas. J’ai failli le remplacer par «La vieillesse est un naufrage», qui, s’il colle davantage au propos, est sans nul doute trop brutal. Alors soit, gardons le «Chapeau, Bob !», jeu de mots pas très fin que j’avais étalé là tout en haut de la page avant même d’avoir vu le spectacle en question.

Et nous allons le voir, commencer à penser à la chronique d’un spectacle avant de l’avoir vu, gros danger. Bob, donc, c’est Robert Wilson. L’appeler «Bob» n’est pas familier, tout le monde l’appelle ainsi, il est Américain, mieux ou pire encore, il est Texan, de Waco (allo, allo, David Koresh ?!). A vrai dire Bob Wilson a sans doute suivi de loin seulement les aventures de la famille Ewing, il n’est pas du genre séjour au ranch. Ses mises en scène sont délicates et tranchantes, ciselées et glacées, comme on veut, mais rien ne dépasse, pas une goutte de pétrole de JR ou de whisky de Sue Ellen.

Je suis en hors-piste là, retour au sujet du jour. Monsieur Wilson, star au royaume mondiale de la mise en scène. Imaginez, la première vendredi a attiré la venue du ministre de la Culture Jack Lang … Pardon on me souffle à l’oreillette que Jack Lang n’est plus ministre de la Culture ?! Bah c’est qui alors ? Ce n’est tout de même plus Philippe Douste-Blazy, qui était là aussi ? … Donc, Bob Wilson, qui ne cesse de parcourir le monde pour diriger les travaux de multiples projets, est de passage à Paris (attention, jusqu’au 8 décembre seulement, jeudi donc).

Bob Wilson dans la "Dernière bande". Photo: © Lesley Leslie-Spinks

 

Objet du délit : «La Dernière bande» de Samuel Beckett, «Krapp’s last tape» en version originale, au Théâtre de l’Athénée. Une courte pièce des années 50, souvent associée sur scène à d’autres textes. Une heure dix annoncée, tout juste une heure en réalité. Et ce solo, puisque c’en est un, c’est Bob Wilson qui s’y colle, qui s’y ose, qui s’y risque. Le Maître signe la mise en scène naturellement, ainsi que la (formidable) conception des lumières.

Visuellement, c’est superbe. Surtout les dix premières minutes. Le comédien ne dit rien, bouge à peine sa longue carcasse, nous présente sans expression son visage fardé de blanc. C’est l’orage qui gronde, la pluie qui ruisselle dehors et inonde pour ainsi dire la scène et la salle. Dans une atmosphère grise, les lumières qui rendent la pluie sont féeriques, ou plutôt, à l’inverse, cauchemardesques.

Puis, Beckett entre en scène si on peut dire, et là ça ne va pas. «Rien n’est superflu, pas un mot, pas un mouvement» confie la collaboratrice à la mise en scène Sue Jane Stoker. C’est le moins que l’on puisse dire. Non pas tant que Beckett ne raconte pas grand chose (le temps perdu, celui qu’on ne peut pas rattraper, la jeunesse oubliée qui revient comme une gifle, certes), mais l’interprétation ne va pas. Bob Wilson se caricature, le comédien n’est pas à la hauteur du metteur en scène. Il y a ses mouvements toujours répétés, de spectacle en spectacle, ces bras brusquement levés pour des doigts tendus sur lesquels se jette un faisceau de lumière blanche. C’est beau, c’est superbe, mais c’est une parodie de Bob Wilson. Le comédien, donc, sautille maladroitement. Il a une peur bleue du metteur en scène.

En réalité me voilà agacé car Bobby aurait dû me faire changer de titre. Mais je n’ai pas osé, je reste envoûté. La pièce demeure un ovni du théâtre, comme sait en produire Bob Wilson. Krapp est seul, il vit dans le passé par l’entremise de bandes enregistrées tout au long de sa vie. Il est seul et pleure. «Jamais entendu un silence pareil» se désole-t-il, voulant se consoler en prétendant qu’«avec toute cette obscurité autour de moi je me sens de moins en moins seul».

Mais alors … et si la peur du comédien était savamment jouée ? Et si le Maître avaient si bien joué ce personnage perdu sur scène comme Krapp l’est dans sa vie solitaire ? Diable, quelle machination, me voilà berné !

Bref (tout ça pour ça penserez-vous avec raison), cette Dernière bande est une merveille esthétique, un diamant sombre taillé par un géant à l’univers singulier, un peu boiteux sur scène pourtant.

La page du spectacle sur le site de l’Athénée

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