Une nuit au Cap Vert

J’y suis retourné deux ans plus tard, avec une amie et sa fille. Même tranquilles, les îles du Cap Vert restent belles, changeantes, variées mais toujours attachantes. C’était à San Vicente. On remontait par la rue de mon ancien hôtel, là où nous étions descendus avec Théo. C’était avant.

 Sur le mur, à côté, un prénom était écrit deux fois à la bombe à peinture. Le mien. Le hasard, sans doute, le hasard, évidemment, un hasard à réveiller les fantômes.

Peut-être est-ce la ville la plus européenne de l’archipel avec ses grands hôtels et son port de plaisance.  La serveuse d’un bar sur le port qui voulait se donner des allures de paillote, avait jeté son dévolu sur Théo. Il était paumé, amoureux sans l’être. Plus tard, une autre nuit, nous nous étions retrouvés sur la place centrale à boire une bière. Il était minuit, elle était noire de monde. Des gamins jouaient zigzaguant entre les adultes. Des jeunes tuaient la nuit rêvassant assis sur les murets enserrant la placette. D’autres allaient et venaient et au milieu de tout cela, quelques tables, comme une oasis autour d’une minuscule guinguette.

Je rendis un sourire à une femme à la peau claire non loin de là.

« Je vais me coucher, tu viens ? »  Théo sortait de son silence mais pas de sa langueur. La femme s’était levée et se dirigeait vers nous. « Non je reste« . Nous étions revenu de San Antao, une île étrange, avec ses falaises vertigineuses, noires, son volcan déchiqueté où verdissait en son sommet, quelques semaines par an, la maigre pitance de l’île.

« Je peux m’asseoir ? » Elle parlait français. « No money, no sex. » J’étais direct.

Elle inclina la tête en souriant. Je l’invitais, lui désignant la chaise laissée libre. Elle se releva aussitôt.

« Tu veux un bonbon ? » Elle traversait déjà la rue, en face une vendeuse ambulante de cigarettes à l’unité, de trucs, de machins et aussi de bonbons sans marque enveloppés dans du papier argent. A son retour elle m’en donna un. Je commandais deux bières. Nous n’avions pas grand-chose à nous dire, quelques banalités sans doute. La nuit était bien entamée. Elle avait faim, moi pas, mais je l’ai suivie. C’était davantage une boîte qu’une pizzeria, avec une musique de club, assourdissante, avec des spots et des lasers qui coloraient bizarrement la pizza qu’elle dévorait goulument. Même bleu violacé, je devais bien être le seul blanc. Au moins ici avec la musique, je n’avais pas besoin de faire des efforts pour parler.

Je me demandais ce qu’elle attendait de moi. Peut-être rien. On marchait à nouveau dans les rues sans lumière. De temps en temps, nous croisions une silhouette dessinée par les traits lumineux de son téléphone portable. Je ne savais pas où nous étions, je la suivais. Elle poussa une porte.

Un homme dormait sur un canapé dans l’entrée. Elle me dit de lui donner 15 euros. Elle m’entraîna dans une chambre sordide, sans point d’eau, le drap, sans couverture, tout juste propre. Un cri me fit sursauter, une engueulade  dans le couloir. Elle me fit signe de ne pas bouger, elle sortit. Je demeurais immobile, debout, habillé. Vingt minutes plus tard elle revint, se déshabilla et se coucha pour s’endormir sur le champ. Je ne trouvais pas le sommeil. La chaleur était étouffante. J’envoyais un texto à Théo. Il devait être inquiet, il me répondit immédiatement. «T’es où, dans quel hôtel ? J’arrive.» Je ne savais pas où j’étais. «Va voir le veilleur de nuit et réserve une chambre supplémentaire.» Je voulais la convaincre de me ramener à mon hôtel. Sans elle je serais incapable de retrouver mon chemin. Je n’étais pas sûr non plus de la faune que je pourrais y croiser la nuit. J’attends et puis enfin une réponse : «T’as une chambre double. Fais chier, je dors».

Je la réveille. « Je ne peux pas dormir, je nous ai réservé une chambre dans mon hôtel, tu viens ? » Je m’attendais à discuter, mais non, elle se leva et s’habilla. Il devait être vers les quatre heures. Deux hommes nettoyaient joyeusement un taxi garé là. Elle leur demanda un papier et de quoi écrire. Elle inscrit son nom, adresse et e-mail.

« Quand tu seras à Paris, écris-moi. Promis ? » J’ai perdu le papier.

On remontait une large avenue, le long de l’océan. Elle chantait à tue-tête. Sur le trottoir de l’autre côté, un homme était allongé, presque désarticulé, la tête tombée sur la chaussée. Elle traversa, regarda l’homme, le bouscula un peu pour que sa tête remonte sur le trottoir, puis elle revint vers moi, sa chanson avec. Nous étions arrivés.

Je me souviens d’une gamine pour qui nous avions acheté un bidon de lait pour bébé. Je revois ce jeune, passablement drogué, qui s’était montré pressant pour une Française et sa fille. Un chauffeur de taxi l’avait remis à sa place. Le lendemain il était encore là, une fleur à la main pour s’excuser. Je pense à ces voitures neuves pour transporter les touristes et aux mains usées des femmes à trop porter des bidons d’eau.

Je pense… « Tu viens? » « Non paye moi un taxi, je rentre chez moi« . A dire vrai, ça m’arrangeait. Je lui donnai trente euros, largement de quoi faire le tour de l’île et d’en revenir. J’allai réveiller le veilleur de nuit qui dormait à la belle étoile à l’arrière d’un pick-up. J’avais deux lits pour dormir et du sommeil pour aucun. A l’époque mon prénom n’était pas bombé sur le mur.

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3 réponses à Une nuit au Cap Vert

  1. jmcedro dit :

    On se laisse embarquer…

    • Bruno Sillard dit :

      J’y retournerais bien…

      • E. B. dit :

        Si l’atmosphère du Cap Vert est comme le décrit Bruno, je prends un billet tout de suite !
        L’écriture vous envole vers un autre pays, d’autres moeurs, d’autres gens et vous donne envie

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