Voyage dans le fantastique flamand

Pour obtenir le prêt d’un Jérôme Bosch appartenant à un musée privé de Madrid, le palais des Beaux-Arts de Lille a accepté de se défaire pendant trois mois de l’un de ses chefs-d’oeuvre : Les Jeunes  de Goya. Un Bosch contre un Goya… c’est dire l’enjeu de l’exceptionnelle exposition que présente actuellement le musée de Lille, «Fables du paysage flamand».

Jérôme Bosch (ou son école, ou ses  suiveurs ou ses imitateurs); Brueghel (ou son atelier, ou son entourage); mais aussi  Dirk Bouts (dont le musée possède deux tableaux exceptionnels) et encore Met de Bles ou Joachim Patinir : les grands maîtres du XVIe siècle sont au rendez-vous.  Et d’autres aussi, peut-être moins connus, mais d’un intérêt évident. Laissons de côté le problème moderne de « l’attribution à » l’époque, le savoir-faire compte plus que la personnalité de l’artiste. Etre capable de copier un grand peintre prouve qu’on est soi-même un grand peintre… On sait par ailleurs que les œuvres étaient souvent le fruit d’un travail collectif.

Jérôme Bosch (suiveur de) : Le Paradis. © Vienne, Kunsthistorisches Museum

Faisant suite à l’évocation de « L’Homme paysage « (2006-2007),  l’exposition a été préparée par trois commissaires réunis autour d’Alain Tapié, avant son prochain départ de l’établissement lillois.  Cent dix toiles provenant d’une cinquantaine de musées européens illustrent le courant né au début du XVIe siècle, à l’aube du maniérisme, quand le réel le plus banal se mêle à l’évocation d’un monde imaginaire, incitant à la rêverie ou à la réflexion. La nature est le cadre de ces fables illustrant le plus souvent un épisode de la Bible ou un récit mythologique. On y retrouve bien sûr le thème de Babel, qui fait l’objet d’une autre exposition (œuvres contemporaines cette fois),  également présentée dans ce même musée ( cf Les Soirées de Paris, 15 juin 2012) et que l’on reverra avec plaisir.

Aucune œuvre secondaire dans cette exposition  prévue pour trois mois, mais des toiles  dont chacune peut être explorée, explicitée, “disséquée“ sans que jamais le thème en soit épuisé.  Chacun des tableaux est en soi un voyage dans le fantastique. Ce que nous appelons « détail » est parfois le centre même de l’œuvre. Témoin l’un des mythes les plus fameux, la troublante Chute d’Icare, thème inspiré des Métamorphoses d’Ovide, dont l’exposition propose trois versions : celle attribuée à Brueghel le jeune, celle de Paolo Fiammingo,  et celle de Hans Bol. Dans la première d’entre elles, la plus connue, le drame  est à peine entrevu : seul les deux jambes disparaissant dans les flots laissent deviner cette pitoyable défaite, qui ne trouble ni le paysan labourant son champ, ni le berger surveillant ses brebis, ni le pêcheur qui surveille paisiblement sa ligne. Ironie des humains qui accomplissent pacifiquement leur mission terrestre  face à celui qui a voulu défier les lois de la nature et, partant, rivaliser  avec Dieu ? 

Gilles Mostaert : Paysage côtier avec Saint Augustin ©Rome galerie Colonna

Autre ambiance dans la version de Hans Bol (1590). La scène se passe dans un paysage recomposé et féérique. Ici les personnages – le laboureur, le berger, le pêcheur- ont les yeux tournés vers le ciel et semblent fascinés  par l’homme ailé. Rien ne permet cette fois d’imaginer l’issue fatale.

En mêlant la banalité du quotidien à l’imaginaire le plus fantastique où superstitions, croyances et préceptes religieux s’unissent en de merveilleuses  métaphores, la plupart des tableaux  pourront ainsi susciter des questionnements, livrer plusieurs interprétations. Pour le spectateur d’aujourd’hui, le message est parfois complexe, d’autant que la scénographie proposée, a priori séduisante (le commissaire parle d’un « labyrinthe ordonné » (délicieux oxymore), pourra parfois dérouter. Le visiteur se fiera alors à son instinct pour retrouver son propre fil d’Ariane. Le parcours n’en sera que plus… “ fantastique“. Dans tous les cas il ne pourra qu’être fasciné par l’extraordinaire virtuosité des peintres de cette époque et la perfection formelle de chacun des tableaux, voire leur modernité : le rapprochement entre l’œuvre d’un Bosch et celle d’un Dali a souvent été fait, non sans raisons.

Palais des Beaux Arts de Lille.  Jusqu’au 14 janvier. www.pba-lille.fr.  03.20.06.78.00

N'hésitez pas à partager
Ce contenu a été publié dans Exposition. Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.

2 réponses à Voyage dans le fantastique flamand

  1. Ce que j’espère toujours c’est qu’une exposition aussi exceptionnelle puisse parcourir la France. HELAS !!!!

  2. Bruno Philip dit :

    Nous aimons quand Paris s’intéresse à Lille

Les commentaires sont fermés.