Douze pouces par quinze

Eugène Delacroix (1798-1863), La Paix vient consoler les hommes et leur ramène l’abondance, esquisse pour le Salon de la Paix à l’Hôtel de Ville de Paris, 1854, Paris, Petit Palais, Musée des Beaux Arts de la Ville de Paris © Magali Porcel / Petit Palais /Ville de ParisOù l’on découvre (en tout cas les cancres comme moi) que l’esquisse peut être un exercice en soi. Un exercice très sérieux en l’occurrence, très officiel. Voyage au XIXe siècle à l’Ecole des Beaux Arts par la grâce de l’exposition Esquisses peintes de l’époque romantique présentée jusqu’au 2 février au Musée de la Vie Romantique.

En 1816, précisément, fut institué dans le parcours des élèves apprentis artistes des Beaux Arts de Paris un concours de composition historique ou mythologique. Douze pouces par quinze, soit environ trente centimètres sur trente-huit, tel était le cadre imposé pour ce travail. L’exposition de la rue Chaptal nous permet de découvrir nombre d’exemplaires, l’Ecole conservant la propriété des œuvres, passant par des réalisations pour le concours de composition de paysage historique créé en 1821.

Mais cet aspect scolaire n’est que l’une des facettes de cette passionnante exposition, qui nous permet de rentrer dans l’intimité de la création. La main de Théodore Géricault notamment a laissé ici une petite esquisse du célébrissime Radeau de la Méduse. Comme il se doit, l’objet est alors de fixer la composition générale du tableau final. On retrouve déjà bien sûr la structure pyramidale, les corps sans vie, ceux qui ont encore la force de se dresser. Sans besoin de méticulosité, la force du Radeau en impose déjà. Un collectionneur particulier parisien peut en jouir chaque jour sans souffrir la cohue et les flashs du Louvre.

«Pourquoi une belle esquisse nous plaît-elle plus qu’un beau tableau ? C’est qu’il y a plus de vie, moins de forme», clamait Denis Diderot en 1767. La présente exposition nous en donne la démonstration, avec Géricault comme avec Delacroix. La Médée furieuse de ce dernier, et, surtout, sa Chasse aux lions (du Musée d’Orsay), sont des tourbillons de couleurs.

Eugène Delacroix (1798-1863), La Chasse aux lions, 1854, Paris, musée d’Orsay © RMN-GrandPalais (musée d'Orsay) / Gérard Blot

Eugène Delacroix (1798-1863), La Chasse aux lions, 1854, Paris, musée d’Orsay © RMN-GrandPalais (musée d’Orsay) / Gérard Blot

On croise encore le Maître, selon lequel l’ébauche d’un tableau «n’a littéralement ni clairs ni sombres», pour ses esquisses du Salon de la Paix de l’hôtel de Ville de Paris. Un décor parti en fumée en 1871. Delacroix en reçut la commande en 1852 … un an après son élection en tant que conseiller municipal (pardon, je m’égare).

L’exposition n’oublie pas l’ancien maître des lieux rue Chaptal, Ary Scheffer. Une salle lui est dédiée, grâce aux prêts du Musée de Dordrecht, sa ville natale. Le peintre nous présente Saint-Louis mourant ou Charlemagne triomphant, ainsi qu’une vibrante Marseillaise, où la masse esquissée de la foule suit le drapeau tricolore au vent. Ses deux esquisses de Saint Thomas d’Aquin prêchant la confiance dans la bonté divine pendant la tempête («Ayez confiance» en langage moins romantique) nous apportent elles aussi un saisissant témoignage du cheminement de l’artiste pour fixer les éléments de la composition, du nombre des personnages à leur posture, jusqu’à la lumière éclairant la scène.

Ary Scheffer (1795-1858) Saint Thomas d’Aquin prêchant la confiance dans la bonté divine pendant la tempête, avant 1824,Pays-Bas © Dordrecht, Dordrechts Museum

Ary Scheffer (1795-1858) Saint Thomas d’Aquin prêchant la confiance dans la bonté divine pendant la tempête, avant 1824,Pays-Bas © Dordrecht, Dordrechts Museum

Le Musée de la Vie Romantique vise ainsi juste, à nouveau, avec cette exposition qui lui va comme un gant, dans ce charmant écrin de la rue Chaptal où Ary Scheffer a reçu le Tout-Paris artistique, de George Sand à Frédéric Chopin, d’Alphonse de Lamartine à … Eugène Delacroix ou Théodore Géricault.

Un avant-goût

 

 

 

 

 

 

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