Une histoire de vagues et de quenelles

"La vague". Source: WikipédiaLe totalitarisme est-il seulement le problème des autres, ceux qui vivent ailleurs ? Je dis cela comme si je disais, tenez, ce n’est pas la « quenelle » de Dieudonné qui va bouleverser l’ordre des choses, tout juste va-t-elle créer un désordre temporaire.

Mais je ne compte pas vous parler de Dieudonné, j’ai bien été fureter sur internet pour savoir s’il était drôle, mais bon… Enfin une chose me titille quand même un peu : comment un artiste arrive à remplir un Zenith, plus de 5.000 spectateurs à Nantes, puis à Tours, puis je ne sais où, alors qu’il est sur le ban des médias depuis pas mal de temps?

Je change de sujet, je pense à un film qui est sorti en 2009, dans quelques rares salles à Paris. Aujourd’hui  on peut le trouver parmi les offres « vidéo à la demande » de TF1, ailleurs peut-être aussi. « La Vague » est un film allemand de Dennis Gansel qui raconte l’histoire d’un professeur de lycée, Rainer Wenger (interprété par Jürgen Vogel) qui, dans le cadre d’un atelier sur le thème de l’autocratie, prend conscience combien pour ses élèves, le nazisme peut-être loin et surtout qu’ils ne  veulent pas éternellement porter sur leurs épaules le poids du passé.

Ce film s’inspire d’une expérience très réelle, une. étude expérimentale menée par un professeur d’histoire Ron Jones avec des élèves de première du lycée Cubberley à Palo Alto, en Californie, en avril 1967.

Dans « La Vague », petit à petit le professeur va monter un jeu de rôle pour mieux faire sentir de l’intérieur ce que peut-être la montée d’une dictature. L’autocratie se définit par un chef, mais ne se définit-elle pas aussi comme une communauté solidaire ?

"La vague". Source: Google imagesElu chef par sa classe, Rainer exige aussitôt qu’on cesse de l’appeler par son prénom mais monsieur Wanger. Désormais chaque élève qui voudra prendre la parole devra se lever. Une mesure non pas autoritaire mais hygiéniste, ce mouvement permet en effet de s’oxygéner davantage et donc de parler mieux et plus fort.

Qu’est-ce qui définit une dictature ? La discipline. Les tables de la classe sont mises en rang, et débarrassées de tout ce qui les encombre. Mais comment faire pour que les membres s’identifient à la communauté ? Un nom « la Vague », un signe de ralliement, la main gauche sur le cœur la main droite dessinant le mouvement d’une vague. La solidarité implique qu’il n’y ait pas de différenciation par l’habillement, aussi une chemise blanche et un jean seront-ils l’uniforme de la communauté.

L’alchimie porte ses premiers fruits. Entre jeux et Histoire, les lycéens découvrent la discipline non plus comme une contrainte mais comme un élément fédérateur.
Nous en sommes au début du film allemand. Avec « La Vague » les élèves vont découvrir leur force collective. Le début du film du moins ce que l’on en sait, est au très proche de la réalité en 1967. Un professeur Ron Jones donne un cours sur la discipline : comment elle est nécessaire aux athlètes, aux artistes, aux scientifiques, et comment, par la maîtrise de soi, elle assure la réussite des projets.

Jones passe ensuite aux travaux pratiques. Ainsi il indique une position assise susceptible de faciliter la concentration et la volonté : pieds à plat sur le sol, dos droit, mains croisées derrière le dos. Il exige des élèves qu’ils adoptent cette position et vérifie qu’ils obéissent. Il leur apprend ensuite à entrer et à sortir de classe, dans le silence et la rapidité. Jones inscrit au tableau la devise du mouvement : « La force par la discipline, la force par la communauté ». Il va faire répéter la devise successivement par un étudiant seul, puis par petits groupes, puis ensemble. Ce sera le ciment de la communauté. Il lui faut un nom, il propose « La Troisième Vague ». Aucun des participants ne fera le lien  avec le « Troisième Reich ». Quant au salut, ce sera la main droite portée à hauteur de l’épaule droite, les doigts arrondis en forme de coupe comme une vague montante.

"La vague". Image extraite du filmRapidement de nouveaux élèves vont venir grossir les rangs de la classe, parallèlement Jones va designer dans le plus grand des secrets, trois mouchards chargés de surveiller les  autres membres.

Ron Jones constate que, alors que les élèves les plus médiocres participent de plus en plus. L’un des élèves décide même de devenir le « garde du corps personnel » du professeur, qui se laisse faire.  On va retrouver la même scène dans le film. De plus en plus d’élèves sèchent les cours pour rejoindre la classe. Le père d’un des enfants, vétéran de  la seconde guerre mondiale, vient dans la nuit du troisième jour, détruire le matériel de la classe pour protester contre la naissance de ce mouvement.

Une police secrète se forme. Jones craint voir le mouvement lui échapper. Il le convoque. En une semaine, il est passé à 200 membres. Il leur fait  croire que d’autres groupes de la « Troisième vague » existent aux Etats-Unis et qu’aujourd’hui le grand leader va leur parler. Conditionné par Jones, les étudiants font le salut, ils hurlent la devise… Il n’y aura pas de discours. Les participants vont comprendre qu’ils ont été manipulés par leur prof. Que s’est-il passé ensuite ? Seuls deux ou trois témoins parleront, comme si le secret était indicible.
Le film allemand diffère un peu, notamment la fin est plus lourde. Il me revient en mémoire la phrase de Brecht dans « La résistible ascension d’Arturo Ui » : « Apprenez à voir, plutôt que de rester les yeux ronds… Le ventre est encore fécond, d’où a surgi la bête immonde ».
Quel est le rapport avec la « quenelle » ? Aucun, sans doute…

Pour en savoir plus sur la « Troisième vague » sur Wikipédia.

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3 réponses à Une histoire de vagues et de quenelles

  1. person philippe dit :

    Bonjour,
    c’est la première fois que j’interviens sur votre site. J’ai lu beaucoup de vos articles et je crois saisir votre « positionnement ». Je crois – mais je n’insisterai pas – que vous commettez un contre-sens « historique » sur Dieudonné. L’assimiler peu ou prou à une réalité historique d’il y a 80 ans dans un autre pays n’est pas pertinent.
    S’il y a « fascisme », il est ailleurs. Dieudonné est pour moi « l’idiot utile » d’un système verrouillé qui le produit et qu’il finit par justifier par sa pathétique envie d’en être encore…
    Non, ce qui m’intéresse c’est votre intérêt pour un film qui pour moi n’en a aucun…
    et qui traduit – hélas – le fait que nos amis allemands n’ont rien compris ou voulu comprendre de leur passé sulfureux. Croire que le « fascisme » reviendra sous la même forme est forcément une aberration, un manque de réflexion, voire une volonté délibérée de noyer le poisson. En ces temps mondialisés orwelliens, on n’a plus besoin d’un fort en gueule qui fascine les foules pour les manipuler comme consommateurs politiques…
    Je vous recommanderai plutôt un autre film allemand plus intéressant parce que décrivant une réalité et pas un fantasme : « Guerrière » de David Wnent.
    Vous pouvez si vous le souhaitez lire ce que j’en disais sur le site Froggy’s Delight en tapant sur google « Guerrière Froggy ‘s delight »..
    J’espère que ce premier contact ne vous aura pas été trop désagréable !

    • Bruno Sillard dit :

      En réalité je suis assez d’accord avec vous, mais on ne peux pas comparer « La Guerrière » qui nous immerge dans cette meute, le terme est bien choisi, de nazillons, un film à voir en VOD, et « La Vague » qui repose sur une fiction, une histoire qui emmène le spectateur. « La Guerrière » est davantage un film allemand dans le sens glauque, sans futur, dur-dur, si vous avez une douzaine de pilule de tranxène, je suis preneur. Je n’ai pas de titre en tête , peut-être « Moi Christiane F, prostituée, droguée. A contrario « la Vague » a plutôt une écriture américaine, mais l’histoire vraie en 1967 est intéressante. C’est vrai que Dieudonné est le clown de service, mais il est intéressant de voir que son public dépasse largement le milieu extrême droite, bref que l’on ose aller le voir sur scène.

  2. Pierre DERENNE dit :

    Là c’est en France. Aujourd’hui…

    « Loi de programmation militaire
    Section 1 : Composition et fonctionnement
    Article L243-1
    La Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité est une autorité administrative indépendante chargée de veiller au respect des dispositions du présent titre.

    Article L243-2

    La Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité est présidée par une personnalité désignée, pour une durée de six ans, par le président de la République, sur une liste de quatre noms établie conjointement par le vice-président du Conseil d’État et le premier président de la Cour de cassation.
    Elle comprend, en outre, un député désigné pour la durée de la législature par le président de l’Assemblée nationale et un sénateur désigné après chaque renouvellement partiel du Sénat par le président du Sénat.
    La qualité de membre de la commission est incompatible avec celle de membre du Gouvernement.

    Article L243-3

    Sauf démission, il ne peut être mis fin aux fonctions de membre de la commission qu’en cas d’empêchement constaté par celle-ci.
    Le mandat des membres de la commission n’est pas renouvelable.
    Les membres de la commission désignés en remplacement de ceux dont les fonctions ont pris fin avant leur terme normal achèvent le mandat de ceux qu’ils remplacent. À l’expiration de ce mandat, par dérogation au précédent alinéa, ils peuvent être nommés comme membre de la commission s’ils ont occupé ces fonctions de remplacement pendant moins de deux ans.

    Article L243-4

    Les membres de la commission sont astreints au respect des secrets protégés par les articles 413-10, 226-13 et 226-14 du code pénal pour les faits, actes ou renseignements dont ils ont pu avoir connaissance en raison de leurs fonctions.

    Article L243-5

    La commission établit son règlement intérieur.
    En cas de partage des voix, la voix du président est prépondérante.
    Les agents de la commission sont nommés par le président.

    Article L243-6
    La commission dispose des crédits nécessaires à l’accomplissement de sa mission dans les conditions fixées par la loi de finances.
    Le président est ordonnateur des dépenses de la commission.

    Article L243-7
    Créé par Ordonnance n°2012-351 du 12 mars 2012 – art. Annexe

    La commission remet chaque année au Premier ministre un rapport sur les conditions d’exercice et les résultats de son activité, qui précise notamment le nombre de recommandations qu’elle a adressées au Premier ministre en application de l’article L. 243-8 et au ministre de l’Intérieur en application de l’article L. 34-1-1 du code des postes et des communications électroniques et de l’article 6 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique, ainsi que les suites qui leur ont été données. Ce rapport est rendu public.
    La commission adresse, à tout moment, au Premier ministre les observations qu’elle juge utiles. »

    La quenelle ? On vous la glisse et bien même…

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