Un jour, j’ai tué le cochon

Illustration: PHBIls étaient combien ? La France rurale de la juste après guerre comptait dix millions de paysans et des souvenirs que l’on feuillette, un jambon blanc qui virait rapidement au vert mais qui était si goûteux par exemple. Le souvenir aussi du paysan qui débouchait une bouteille quand on lui rendait visite. Un vin noir qui colorait de violet le verre. Je n’avais  pas dix ans mais j’avais mon verre, pas rempli, mais que j’avais le droit de boire. C’était du « breton ». Aujourd’hui il fait parti des cépages interdits, un peu hallucinatoire paraît-il.

Je me rappelle avoir vu dans une ferme une poule suivie par une palanquée de cannetons. La fermière lui avait confié des œufs de canne pour qu’elle les couve. Les canetons découvriront plus tard que leur mère de substitution n’est guère encline à se mouiller les plumes. Il n’y a pas de mare sans canard, aussi suivront-il la poule jusqu’au jour où la maîtresse  des lieux les saisira pour les jeter à la baille. La poule écœurée s’en ira couver d’autres œufs. Pourquoi ne voles-tu pas dame poule ? Un jour je me suis penché sur  cette question, on en conviendra, essentielle. Eh bien, elle a tout pour, un solide bréchet, des os allégés, des plumes de bonne taille… Rien ne s’oppose au vol de la poule, seulement voilà, à force de picorer depuis sept ou huit mille ans dans les cours de ferme, elle en a oublié comment faire. Pas de tête la poule.

Accroché au mur de l’étable une plaque, celle d’un grand prix gagné par un taureau dans un comice agricole. Je l’imagine, nettoyé, brossé, bichonné, le poil luisant, la démarche altière. Comme je demandais ce qu’il était devenu ensuite, sans doute coule-t-il des jours heureux ? Il me fut simplement répondu qu’il était parti en boucherie.

La « Tatan » régentait de vive voix la ferme que son fils faisait vivre. Je lui avais dit que j’aimerais bien voir tuer le cochon. Un jour, elle m’invita. Je suis arrivé la veille à la ferme, dans les hauteurs de Saint-Etienne. Les fermes stéphanoises sont repliées sur elles-mêmes pour se protéger des froids de l’hiver.

Le cochon les pattes entravées apparut, sonné par la lumière du soleil, lui qui a du passer les neuf mois de sa vie dans le noir de sa porcherie. Il se laisse attacher les pattes de derrière par une autre corde.

Illustration: PHB

Illustration: PHB

Le tracteur s’approche, la fourche qui se lève doucement fait perdre au cochon l’équilibre. Il se retrouve en l’air la tête en bas. Affolée, la pauvre bête s’est mise à hurler, une truie en réalité. Ils sont  deux paysans, l’un roule une cigarette, il l’allume. L’autre est rentré dans la salle pour en ressortir avec deux longs couteaux pointus. Il les donne au charcutier qui était arrivé depuis quelques temps et préparait son matériel à l’intérieur.

La truie hurle, le fils s’impatiente, rentre à nouveau, puis ressort, suivi cette fois par la « Tatan » qui amène avec elle une grande bassine en fer blanc.

L’animal hurle encore et toujours. Le paysan clope au bec, enfonce son doigt dans ce qu’il me dira être le conduit urinaire pour l’empêcher de pisser dans la bassine. Le charcutier, enfin, lui entaille les veines du cou. Le cochon saigne, hurle, la bassine se remplit. La « Tatan » va et vient entre la salle et la cour. La poule et ses canetons picorent indifférents.

Le cochon hurle encore. Le chien, un inquiétant beauceron, enchaîné près de la porte dort. Le second, un labrador, qui a été enfermé au premier étage de la grange, tourne comme un fauve en cage. Les hurlements se font moins forts, deviennent râles, puis le silence, enfin. Je ne sais pas si le sang coule toujours, je suis resté à une distance respectable.

Les bruits de la ferme ont enfin repris leur droit. La fermière est venue récupérer la bassine, le tracteur s’est remis en route et s’en va coucher un instant le cochon sur une antique balance. Puis le relève pour l’allonger sur un lit de paille, on le recouvre également puis on y met le feu pour brûler les poils de la bête.

Le cochon est devenu un porc que l’on cuisine. Ici, les intestins sont  nettoyés  et retournés comme un bas pour les saucissons et le boudin. Là, la viande est découpée ou hachée. La fricaude du « dîner » de midi, poêlée de viande, d’abats et de pommes de terre mijote dans une cocotte. Une étrange seringue en fonte injecte la chair à saucisses dans les boyaux…

Le salon de l’agriculture a ouvert ses portes. 700.000 personnes l’ont visité  en 2013. Combien reste-t-il de paysans ? Entre 800 et 900.000. Encore un salon ou déjà un musée ?

 

Salon International de l’Agriculture, du 22 février au 2 mars 2014 à Paris Expo, Porte de Versailles

 

 

 

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3 réponses à Un jour, j’ai tué le cochon

  1. Philippe Bonnet dit :

    C’est un peu rude mais voilà ce qui se cache derrière le paravent de la tranche de jambon.
    Cela dit je regardais l’autre jour la façon qu’ont les ours canadiens de dévorer vivants les saumons qui ont un peu le temps de souffrir au passage, souffrances sur lesquelles les plantigrades ne sont pas trop regardants. PHB

  2. de FOS dit :

    J’ai vu tuer le cochon mais de loin (et je suis myope). Je n’ai pas vu le toucher urinaire sans lequel le boudin noir eut le goût du rognon. Merci de la précision Bruno !

  3. Ping : L’Aïd entre bled et banlieue | Les Soirées de Paris

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