On s’en souviendra

Photo de l'affiche "Je ne me souviens plus très bien"Un vieil homme est là perdu, il ne se souvient plus très bien, du moins c’est ce qu’il dit, et autour de lui deux blouse blanches qui ne vont pas le lâcher. A coup de méthodes, de questions, de masques, il s’agit de le guérir, lui rendre la mémoire de son quotidien. A moins qu’il faille l’alléger au contraire, vider sa tête trop remplie des dates de la grande Histoire, celle qui a pris la place de son histoire à lui. Se souvenir ou oublier, on ne sait plus très bien.

C’est la belle et forte question que pose le spectacle : Je ne me souviens plus très bien, écrit et mis en scène par Gérard Watkins au théâtre du Rond Point jusqu’au 5 octobre. Peut-on oublier et à quel prix ? Et derrière la joute à trois personnages, se creuse la métaphore. La jeune femme, égérie de notre temps, celui de la mémoire obsédante, vient tirer les vers du nez du vieux XXe siècle, plein de fantômes et de fureur guerrière. Les horreurs du siècle dernier traversent le spectacle, évoquées avec justesse et mesure par des images projetées et par quelques segments de phrases. A côté du vieil amnésique, un autre homme en blanc, apparemment raisonnable, écartelé entre les rives et les siècles. Trois générations d’acteurs coexistent ainsi sur scène pour décrire trois rapports au temps et à la mémoire. Un spectacle « présent, précis et joyeux », d’une singulière actualité.

Mais que le spectateur se rassure, cette lutte des âges est loin d’être aussi abstraite que notre commentaire. Gérard Watkins a choisi trois comédiens d’os et de chair qui donnent toute l’urgence nécessaire à la grande lutte contre l’oubli. Saluons particulièrement le jeu de Géraldine Martineau, jeune « médecin » au style aussi tranchant que décoiffant. A coup de talon haut, d’une langue verte et savoureuse, elle accompagne, accouche est-on tenté de dire, le vieux de sa vérité.

En la voyant on se souvient (forcément un peu nous aussi) du personnage de Marguerite dans Le Roi se meurt. Elle nous propose avec ses partenaires, Philippe Morier-Genoud et Fabien Orcier, une des plus belles scènes de la pièce : « La méthode », comme ils l’appellent.

"je ne me souviens plus très bien". Photo: Giovanni Cittadini Cesi

« Je ne me souviens plus très bien ». Photo: Giovanni Cittadini Cesi

La rêverie prend alors le pas sur le réel, le théâtre monté par les « médecins » devient le lieu du déplacement même, où l’inconscient se dit à travers l’image et le jeu. Cette scène entre un chêne bicentenaire, une femme sur la mousse et un rêveur éveillé est grave et drôle à la fois. Elle rachète à elle seule les quelques temps morts du spectacle. Et si on s’ennuie lors d’une scène de somnambulisme un peu longuette, on se réveille pleinement quand les blouses blanches font leur réapparition. Le mystère de leur identité, de l’étrange passé qu’ils cherchent à débusquer, fait tout le sel de la pièce.

Il ne nous revient pas de révéler ici ce qui se joue entre ces trois êtres. Suspens oblige. Pas plus que le sens de cet étrange décor évoquant la salle d’analyse, la cellule d’isolement ou le centre de bronzage pour parisiens en mal de soleil. Cette lumière travaillée et retravaillée par le metteur en scène ne lève pas toutes les zones d’ombre, loin de là. Pour le spectateur, une seule guérison possible, se faire enquêteur, analyste et jouer à « l’oreille absolue » selon la belle expression de Gérard Watkins, en attendant un dénouement qui nous tient (encore) dans l’étonnement.

« Je ne me souviens plus très bien ». Théâtre du Rond-Point. Jusqu’au 5 octobre.

 

 

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Une réponse à On s’en souviendra

  1. person philippe dit :

    Tiphaine a eu plus de chance que moi… qui suis allé voir « Hôtel Europe » (voir ma « critique » sur le site Froggy’s Delight). Outre BHL, était dans la salle le couple ex-présidentiel, Nicolas et Carla… C’est sûr que chez Jean-Michel Ribes, des choses comme ça n’arrivent pas !

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