Quelque chose en nous du Revizor

Source image: théâtre du LucernaireOn les avait ratés à Avignon cet été, où leur succès était déjà parvenu jusqu’à nos oreilles. On les retrouve en cette fin d’année au meilleur de leur forme. Le collectif VdP met en scène une sombre farce de Gogol. Un jeune aristocrate sans le sou débarque dans une province éloignée qui ne rêve que de Petersburg et de son faste. Il est pris pour un inspecteur général du Tsar en mission (un Revizor).

Le gouverneur de province un peu véreux lui déroule le tapis rouge, pendant que les fonctionnaires zélés s’activent pour cacher la gestion catastrophique de la ville. Le quiproquo initial donne lieu à une série de scènes jubilatoires de tromperie où tous révèlent leurs ambitions chevillées au corps. Acide satire du monde politique dans toute sa corruption, la pièce est aussi un formidable éloge du jeu et de l’illusion.

Les comédiens de la troupe nous font partager ce plaisir. Jean Benoît Terreal fait un gouverneur diabolique et pitoyable à la fois, les deux compères Mickaël Cohen et Jérôme Rodriguez dressent de savoureux portraits de provinciaux ambitieux. Ronan Rivière est à la mise en scène avec Aymeline Alix, il nous propose également un superbe Revizor. Tout en nervosité rusée, il virevolte dans tous les sens, montant de toute sa hauteur sur les tables et les fauteuils tronqués.

Photo: G. Roussel

Photo: G. Roussel

Une belle trouvaille de décor que ces meubles bancals, lieu de jeu pour les comédiens qui glissent allégrement sur les tables inclinées. Mais les tables, les chaises aux pieds tronqués deviennent aussi symbole de cette ville où rien ne va droit et où tous sont menacés par la chute. On est un peu moins convaincu en revanche par les ombres chinoises dans la fenêtre de guingois : manque de nécessité dramatique peut-être ? Heureusement le soleil orangé qui se lève sur les bons comme les méchants vient donner à la scène une profondeur presque métaphysique.

Les scènes de faux-semblant s’enchaînent jusqu’à la grande scène du dîner, sommet de cette adaptation, dans laquelle le jeune aristocrate se rêve en demi dieu de la place pétersbourgeoise : une décharge de rire pour le spectateur. Plus généralement, la pièce et le jeu s’emballent, menaçant parfois de tomber dans l’hystérie, c’est le seul reproche que nous ferions à la jeune troupe, au risque de passer nous-mêmes pour des Revizor… Les premières scènes entre le gouverneur et sa fille Maria lancent la pièce sur un ton (déjà) survolté mais les comédiens avancent tout de même avec bravoure jusqu’à l’apothéose finale. Le pianiste (Léon Bailly) qui accompagne le jeu de quelques notes bien senties vient dramatiser les émotions et souligner les arrière-pensées et ambitions de chacun. Il nous offre aussi la surprise ultime qui couronne un spectacle mené tambour battant.

Le Revizor, trad. de Prosper Mérimée, adaptation : Ronan Rivière, au Lucernaire, du 7 au 25 janvier 2015.

 

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