Les faits divers, somme de toutes les vies

Source image: PlonLes éditions Plon publient dans le cadre de leur collection les « Dictionnaires amoureux » un ouvrage consacré aux faits divers. Ils ont demandé à Didier Decoin d’exhumer ainsi de sa cave quelques cadavres. Huit cents pages de faits divers, l’auteur sait prendre son temps pour planter le décor et nous conter quelques dizaines de drames qui ont agité en leur temps les gazettes, réveillé les cafés ou ému les concierges.

Il n’y a pas d’« affaire » sans  mystère, et si le coupable reste suffisamment longtemps dans l’ombre, mais pas trop, elle ne s’en portera que mieux. Si l’assassinat ou le vol n’ont pas d’époque, il leur faudra attendre l’envol des canards populaires au XIXème siècle pour que battent les cœurs avides de peur à bon compte. La presse se développait à mesure que l’insatiable appétit de lecture de ses lecteurs croissait également. La réalité ne suffisait pas, Le feuilleton vint à la rescousse des vrais crimes. Fantomas signa ses horribles meurtre ; Arsène Lupin s’amusait de la police ; le reporter Rouletabille dénouait des enquêtes impossibles. Vraies affaires, fausses histoires ou les deux à la fois, jusque dans les années cinquante d’ailleurs, la presse populaire n’hésitait pas à enjoliver telle ou telle information. C’était sa nature, il faut bien passionner les foules. « L’information ne doit pas être exacte, elle doit être énorme » disait le patron du Parisien libéré à l’époque !

Dans le Parisien Libéré du 20 mars 1968. photo: LSDP

Dans le Parisien Libéré du 20 mars 1968. photo: LSDP

Longtemps, le fait divers s’est levé de bonne heure dans les pages intérieures du quotidien local. La somme de toutes les vies, de l’accident de voiture, au cambriolage, de l’inondation de la rue machin à l’héroïsme des pompiers sauvant un aveugle dans un hôtel borgne. Le journal est étalé sur la toile cirée de la table de la cuisine, le café est encore chaud dans le bol, tout est lu dans le journal, même le plus petit articulet. C’était aussi cela le fait divers. Jeune journaliste à Nord Matin il y a une trentaine d’année, j’avais écrit une petite brève sur un accident du travail, un ouvrier avait été tué par une palette de chocolat qu’une grue avait lâchée. Je titrai : « Le chocolat qui tue ». Le bol de café était encore chaud quand l’entreprise envoyait un droit de réponse comme quoi la qualité de son chocolat n’était pas en cause puisque à l’origine l’accident venait d’un problème de grue. Mon patron s’excusa de m’engueuler, le grand patron l’avait lui-même cueilli alors que son gobelet de café était encore chaud.

Mais revenons aux vraies grandes affaires. C’est compliqué un crime, il faut une victime, ce qui n’est pas donné à tout le monde.  Elle se récuse parfois on la cherche. Il est préférable que l’assassiné soit bien sous tout rapport, ça permet davantage de surprises mais ce n’est pas obligé. Pour l’assassin, les choses deviennent compliquées. De nos jours on a presque envie de mettre les pouces, avec l’ADN, c’est tout juste s’il y a surprise.  Ca tue le métier tous ces gènes qui jouent les balances. Bon il reste la traque, mais  là aussi les choses changent. Avant cela restait la chasse gardée de la police, maintenant les mobiles dictent leur loi, la police doit assurer le spectacle sans laisser le journaliste le déborder ni l’avocat le brider.

Dans le Parisien Libéré du 20 mars 1968. photo: LSDP

Dans le Parisien Libéré du 20 mars 1968. photo: LSDP

Du feuilleton de la presse écrite à l’époque des « Mystères de Paris » aux reportages  d’aujourd’hui, sûr que l’industrie du crime ne connaît pas la crise. Et la concurrence  est vive, il faut aujourd’hui  alimenter les chaînes du câble « d’Enquête impossible » ou de « Faites entrer l’accusé » comme au XIXème siècle Paris, 10.000 personnes venaient tous les soirs « Boulevard du crime ». On y égorgeait, trucidait, serinait, pendait,  sur deux cents mètres, Cela dit on n’y risquait pas grand-chose, tout juste votre bourse risquait-elle de changer de propriétaires. Sur le boulevard du crime celui ressuscité dans le film « Les Enfants du paradis », les théâtres  rivalisaient dans leur programmation d’un nouveau genre le mélodrame qui n’était que drames ruisselants pleins de coups de couteaux, d’enfants volés ou d’orphelins persécutés. Le boulevard du temple fut assassiné. On connaît son assassin, le baron Haussmann.

L’histoire du crime est avant tout une histoire d’atmosphère. Parfois le titulaire de l’information perd le contrôle de son sujet. Il me revient en ma mémoire, ce n’est pas dans le dictionnaire, la « Sublime, forcément sublime Christine V ? » quand Marguerite Duras, dans un texte de Libération, se déclare convaincue que  telle Médée, Christine Villemin est coupable du meurtre de son enfant, le petit Grégory, noyé dans la Vologne, sans autre forme d’enquête.

Plus sérieusement,  le cas de Truman Capote nous laisse perplexe. La scène de crime se passe au milieu de champs de blé et de maïs. Les habitations sont peu nombreuses, pour  autant, on ne ferme pas les portes à clef. Ici nous sommes dans le  « Bible belt », il y règne un protestantisme rigide, pis que ça même ici on croit au créationnisme, les textes comme la Genèse sont donc à lire littéralement. Dans la  nuit du 15 au 16 novembre 1959 deux repris de justice Perry Smith et Dick Hancock rentrent dans la maison de Herbert Clutter. Alors qu’il était en prison, un codétenu qui a travaillé dans  cette ferme, affirme à Dick que dans la maison se trouve un coffre-fort et obtenir du fermier la combinaison du coffre ne devrait pas être un problème, s’il s’en donnait les moyens. Mais rien n’a marché, les problèmes se sont accumulés, pas de coffre-fort visible, même pas de la monnaie. Ils enferment les quatre membres de la famille  séparément puis les torturent avant de les achever. Perry Smith et Dick Hancock s’enfuient, ils ont assassiné la famille pour quarante dollars et un poste de radio. Truman Capote découvrit le massacre en lisant le New York Times. Les deux criminels ont été arrêtés à Las Vegas.

Pendant six ans Capote fit minutieusement l’autopsie du meurtre. Il lia une relation étrange, profonde, morbide avec eux. Avec Perry surtout qui lui avoua rêver faire une œuvre d’art et le récit « De  Sang froid » devint en quelque sorte cette œuvre d’art. Truman Capote alla jusqu’à payer les recours pour repousser l’échéance fatale, puis il assista  à leurs exécutions. « De Sang froid » fut un triomphe mais Capote ne s’en remis jamais, ce fut son dernier livre.

Le funeste défilé des crimes se poursuit, sans se préoccuper des dates. L’affaire de la malle sanglante passe, les fantômes du bal de la charité s’avancent. Je suis  déçu, voilà Casque d’or mais la jeune prostituée n’est pas belle. Au loin Colette, elle a couvert l’actualité judiciaire, mille trois cents articles dans le Matin, le Figaro, Paris soir. Tiens Bonnot dont des milliers de parisiens étaient venus assister à son siège par la police. En revanche ne vous approchez pas de la « porsche 550 spyder » qui conduisit James Dean sur la route de la mort, on l’a dit maudite. Pier Paolo Passolini est là aussi, Patricia Hearst rêveuse suit. Qu’elle est cette inconnue ? Elle  a survécu à une chute de 10.000 mètres !

Didier Decoin continue de nous exhumer de sa cave d’autres cadavres, exquise soirée.

 Bruno Sillard

Dictionnaire amoureux des Faits divers
Didier Decoin/Editions Plon/24 euros

Dans "Le journal" 15 juillet 1915. Le quatier maître a volé des sardines et du gruyère. Photo: LSDP

Dans « Le journal » 15 juillet 1915. Le quartier-maître a volé des sardines et du gruyère. Photo: LSDP

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Une réponse à Les faits divers, somme de toutes les vies

  1. jmc dit :

    Quelle bonne idée! Merci.

Les commentaires sont fermés.