«Hommes de l’avenir souvenez-vous de moi». La fameuse supplique qui ouvre Vendémiaire, le dernier poème d’Alcools, n’est pas restée sans échos. La plupart des lieux qui ont marqué la courte vie d’Apollinaire sont ornés d’une plaque commémorative, d’un monument, d’une stèle… Une célébration qui n’aurait sans doute pas déplu au poète dont le recueil Alcools continue de figurer parmi les meilleures ventes de poésie en librairie.
Mort à 38 ans de la grippe espagnole après avoir combattu sur le Front et subi une trépanation,“connaissant plusieurs langages/ Ayant pas mal voyagé“ (La Jolie Rousse),Guillaume a connu une vie intense, animée, voire aventureuse. Nous sommes allés sur les traces de cette vie parfois bohémienne. Le voyage nous a conduit dans plusieurs pays d’Europe.
ROME. – La première trace, c’est bien sûr à Rome, sa ville natale, qu’on la trouve, dans le quartier populaire de Trastevere, où la naissance du bébé, le 26 août 1880, fut déclarée à l’état civil par la sage-femme, avant que la maman Angelica ne reconnaisse l’enfant quelques mois plus tard.
Une plaque a été apposée piazza Mastai, par les amis de Tor Margana, en 1966, lors du dixième anniversaire du jumelage Paris-Rome. On y rappelle que le poète est né aux alentours de cette place dans une maison aujourd’hui disparue, et on peut y lire un extrait des Collines : «Jeunesse adieu jasmin du temps / J’ai respiré ton frais parfum / A Rome sur les chars fleuris / Chargés de masques de guirlandes / Et des grelots du Carnaval».
MONACO. – Après une prime enfance italienne sur laquelle on ne sait pas grand chose (mais qui explique que Guillaume parle couramment la langue), la maman Angelica décide de s’installer à Monte-Carlo. Son goût pour le casino et ses activités de demi mondaine expliquent en grande partie ce choix. Guillaume, 7 ans, et son frère Albert, de deux ans son cadet, bénéficieront de l’enseignement d’un collège de bonne réputation, le collège Saint-Charles. Ils y resteront jusqu’en 1896, l’établissement devant alors fermer pour raisons financières. Le bâtiment est aujourd’hui siège de la mairie de Monaco et une plaque, apposée en 1968 pour le cinquantenaire de la mort du poète, rappelle que Wilhelm Apollinaris de Kostrowitzki «connu sous le nom de Guillaume Apollinaire» y fit ses études de 1888 à 1896. Le poète “illustre“ est défini comme «précurseur du surréalisme», ce qui n’est pas faux.
STAVELOT, SPA (Belgique).- Le voyage nous fera revenir un peu plus tard sur la Riviera, mais pour l’instant c’est en Belgique qu’Apollinaire se trouve célébré, précisément dans un pittoresque village des Ardennes, non loin de Spa. On connaît l’histoire : à l’été 1899 (Guillaume a 19 ans), Angelica décide de séjourner à Spa, connu pour son casino, et les deux frères se retrouvent placés dans la pension d’un village situé à une quinzaine de kilomètres, Stavelot. Ils y resteront trois mois. Il faut croire que les affaires ne furent guère brillantes pour la maman, puisqu’à la demande de celle-ci, Guillaume et Albert quittèrent la pension en pleine nuit…. sans régler l’addition.
Si l’hôtelier gardera une haine farouche pour ces prétendus «princes russes» coupables de grivèlerie, les Stavelotains se montreront magnanimes : dès 1935, ils rendirent hommage au poète en faisant apposer sur la pension une plaque commémorative que l’on peut encore voir à l’entrée de ce qui est devenu aujourd’hui l’hôtel … “Ô Mal Aimé“, comme il se doit. Le séjour d’Apollinaire y est évoqué de façon quelque peu sibylline : «A l’aube du 5 octobre 1899, le poste Guillaume Apollinaire quitta cette maison où il vécut une partie de sa jeunesse».
A noter également qu’un monument assez imposant de granit, sorte de cromlech, fut érigé à cette même date, à quelques kilomètres de Stavelot sur le plateau de Bernister. Pierre-Marcel Adéma, le premier biographe du poète, qui assistait à ces inaugurations, parla d’une «atmosphère à la fois solennelle et bon enfant avec des discours académiques, des improvisations touchantes, des poèmes bien venus, des flonflons d’orchestre et des drapeaux, des jaquettes noires et des vestons clairs à larges poches». Pour la petite histoire, Paul Claudel, alors ambassadeur de France en Belgique, avait refusé d’y assister et même de faire partie du comité de soutien créé pour l’occasion, «la manifestation ne lui paraissant pas assez importante pour justifier son patronage». Les grands hommes ont parfois leurs petitesses…
Les Belges iront également jusqu’à avoir une pensée pour la présence d’Angelica à Spa, puisqu‘en 1958, à l’emplacement de l’ancien Hôtel de la Clef d’or, rue de l’Hôtel-de-Ville fut apposée une plaque de cuivre avec cette mention : «En cette maison le poète Guillaume Apollinaire venait rendre visite à sa mère Angelica de Kostrowitzki durant la saison de 1899».
Enfin n’oublions pas que Stavelot, seule ville à posséder un musée Apollinaire, a accueilli fréquemment des colloques de spécialistes de l’œuvre de l’écrivain.
DEAUVILLE.– Avant de retrouver la Côte d’Azur, notre enquête nous contraint à un détour sur la côte atlantique, à Deauville, où se retrouvait le Tout Paris. A l’été 1914, l’écrivain y fut en effet envoyé par le journal Comœdia, avec son ami le caricaturiste André Rouveyre pour un reportage sur la saison des vacanciers fortunés. Les deux amis logèrent à l’hôtel de l’Europe, devenu hôtel Continental.
Sur le côté de la porte d’entrée de l’hôtel, une petite plaque témoigne de la venue du poète et du dessinateur, entre le 25 et le 31 juillet 1914. On sait que c’est à Deauville qu’Apollinaire apprit la déclaration de guerre, obligeant les deux amis à regagner précipitamment la capitale.
NICE.- Nice a beaucoup compté pour la vie du poète. Il y fit une partie de ses études mais surtout c’est dans un restaurant du vieux Nice qu’il rencontra le 27 septembre 1914 Louise de Chatillon-Coligny, « Lou », son amante et son inspiratrice. A Nice, deux plaques ont été apposées en l’honneur d’Apollinaire. Elles rappellent que c’est dans cette ville que Guillaume de Kostrowitsky, qui n’avait pas encore la nationalité française, s’est porté volontaire pour aller combattre. L’une de ces plaques, assez peu connue, se trouve sur la façade du Crédit Lyonnais de la rue du maréchal Joffre, anciennement rue Cotta, au numéro 26. On peut y lire : «Guillaume Apollinaire habitait dans cette rue quand, étranger, il s’engagea dans l’armée française en 1914».
L’autre est visible rue Alfred Mortier, ex rue Palermo. Le bureau de recrutement y avait été installé, au numéro 9. On précise la date exacte de sa demande d’engagement, le 4 septembre 1914, et l’on cite deux alexandrins extraits de Calligrammes : « Je me suis engagé sous le plus beau des cieux / Dans Nice la Marine au nom victorieux« .
NÎMES.- Le hasard veut que les vers gravés sur la plaque de Nice soient extraits d’un poème dédié à Emile Léonard intitulé… A Nîmes. C’est précisément dans cette ville que l’enquête se poursuit puisque Apollinaire y fit ses classes militaires au 38e régiment d’artillerie. C’est surtout à Nîmes que Guillaume devint l’amant de Lou, rencontrée à Nice quelques semaines plus tôt. Sur les murs de l’ancien Hôtel du Midi et de la Poste, derrière le square de la Couronne, une plaque rappelle en termes chastes cette liaison «Ici Guillaume Apollinaire aima Louise de Coligny-Chatillon qui lui inspira l’œuvre immortelle des Poèmes à Lou». L’hôtel a été transformé en appartements, et certains commerces s’y sont installés dont un restaurant qui a pris pour nom, tout naturellement… « Apollinaire ». Quant à la plaque qui avait été posée en 1998, elle avait disparu suite à un vol puis finalement retrouvée dans un logement voisin et replacée au même endroit.
Une autre plaque existait à Nîmes, dont nous avons la chance de posséder une photographie grâce à la biographe Laurence Campa. Elle se trouvait dans l’ancienne rue de la Biche, sur la façade de la villa Belvédère que louait un ami d’Apollinaire, Nicolini, et où le poète pensait pouvoir trouver un appartement pour une éventuelle vie commune avec Lou. L’objet a disparu en même temps que les constructions du quartier, rasées il y a quelques années. Elle indiquait, peut-être à tort, qu’Apollinaire y avait écrit quelques uns de ses poèmes. On y lisait les fameux vers «Je te salue au loin belle rose ô Tour Magne».
Quoi qu’il en soit, le rêve de retrouvailles nîmoises avec Lou ne se réalisa pas. La belle Lou était trop fantasque et sa liaison avec Apollinaire dura finalement à peine une dizaine de jours. Suffisamment cependant pour alimenter la flamme poétique d’un soldat au front.
PRAGUE.- Inattendu, cet hommage relativement récent que la ville de Prague a rendu à l’auteur de l’Hérésiarque. La raison principale est le court séjour qu’y fit Apollinaire (à l’époque engagé, en Rhénanie, comme précepteur de la fille d’une aristocrate allemande, Madame de Milhau) en 1902. Il en résulta un conte célèbre « Le Passant de Prague ». Un buste a été érigé à l’emplacement de l’hôtel où Apollinaire avait séjourné deux ou trois nuits. Ce bronze représente un étrange visage d’Apollinaire, un peu décharné, un peu christique. C’est l’homme «blessé à la tête, trépané sous le chloroforme» (La Jolie Rousse) qu’a choisi de représenter le sculpteur allemand Heribert Staub. Le buste fut officiellement inauguré lors du 110e anniversaire de la venue d’Apollinaire, en 2012, en présence de l’ambassadeur de France et des universitaires tchèques.
VENISE.- A notre connaissance, Apollinaire ne s’est jamais rendu dans la Sérénissime, mais… sa traduction et son introduction à l’œuvre du Patricien de Venise Giorgio Baffo (qui aurait été le tuteur de Casanova), parues en 1910 dans la collection des Maîtres de l’Amour, explique que l’on trouve sur les murs du palais Bellavite, à Venise une plaque où le nom d’Apollinaire apparaît. Cette plaque a été apposée en 1987 par l’association Gli Amici del Baffo.
Le voyage apollinarien aurait pu nous conduire en Allemagne, puisque Guillaume y séjourna en 1901-1902, dans la résidence Neu Glück, propriété de Madame de Milhau; nous n’avons pas connaissance de plaque commémorative, pas plus qu’à Londres où il se rendit en 1903 pour tenter de reconquérir le cœur d’Annie Playden, engagée comme lui au service de Mme de Milhau et dont il fut «le mal aimé». Le voyage se poursuivra en France et il est probable que nous en profitions pour nous rendre, notamment, au Pont Mirabeau.
Gérard Goutierre
(à suivre)
Beau voyage, cher G., et plein d’apprentissages.
Bonsoir savez vous où se trouve à paris la plaque renfermant quelques vers du pont mirabeau de Guillaume d’Apollinaire.
Merci