Velázquez et ses copistes règnent en maîtres au Grand Palais

La France a misé tardivement sur lui et le musée du Louvre ne possède officiellement plus de tableaux de sa main. Il est le peintre du siècle d’or espagnol et l’un des plus grands portraitistes de tous les temps, mais est resté longtemps inconnu hors de son pays. Edouard Manet l’a déclaré « peintre des peintres » et les impressionnistes ont vu en lui un précurseur – le premier moderne même –, dont le travail inspira leurs recherches picturales.

Francis Bacon, en 1953, interprétait son portrait du pape Innocent X (« Etude d’après le portait du pape Innocent X de Velázquez »). L’espace d’un été (1957), Picasso fit une parodie compulsive de ses « Ménines », réalisant près de cinquante déclinaisons du célèbre tableau. En 1982, Dalí détournait son « Portrait d’un nain assis à terre » (1645), plaquant sur les mains, les épaules et la tête du personnage des œufs au plat. Il donna à ce détournement le nom alambiqué de « Derrière la fenêtre, à main gauche, d’où sort une cuillère, Velázquez agonisant – le nain Sebastian de Morra »…

Velázquez a été copié, suivi, admiré et raillé tout à la fois. Mais il met tout le monde d’accord sur l’héritage qu’il laisse à l’histoire de l’art. Et comme il fait actuellement l’objet de la première rétrospective française aux galeries nationales du Grand Palais (une cinquantaine de ses toiles y sont présentées, soit la moitié environ de ce qui reste de son œuvre), il faut y aller, absolument (1).

Diego Velázquez est né en 1599, dans une famille de la petite noblesse sévillane. A l’âge de douze ans, il est placé en apprentissage chez un peintre. Le maître est colérique, il n’y reste pas. Il intégrera bien vite l’atelier de peinture de celui qui deviendra son beau-père, Francisco Pacheco, peintre de peu de qualité mais personnage éminemment influent et, par ailleurs, théoricien de l’art, auprès de qui Velázquez se formera pendant six années.

Velazquez. Education de la vierge. Photo: Valérie Maillard

Comme tous les artistes de sa génération, Velázquez peint alors des « bodegones », ces natures mortes ou scènes de genre fort appréciées de ses contemporains. Elles montrent les gens du peuple immortalisés dans leurs activités quotidiennes : faire la cuisine, puiser de l’eau, manger, boire. Des scènes vivantes extrêmement riches en détails et en précision. Des « bodegones » exécutées par les peintres de l’atelier de Pacheco ont été sélectionnées pour être montrées dans la première partie de l’exposition, avec les œuvres de jeunesse de Velázquez. Ici, certaines toiles non pas été, ou n’ont pas pu être, restaurées et c’est bien regrettable. C’est le cas de cette « Education de la Vierge » (vers 1618), une toile récemment redécouverte dans les réserves de la Yale Art gallery de New Haven. Ce tableau ruiné et mutilé serait une œuvre inédite de Velázquez, sans qu’on puisse être absolument sûr de sa paternité.

Car, là est bien le problème. Velázquez a d’abord peint dans le quasi anonymat de l’atelier, puis est devenu, en 1623, peintre officiel à la cour du roi d’Espagne, Philippe IV. Comme il peignait les portraits de la famille royale et ceux des Grands d’Espagne, il était systématiquement copié ; c’était la règle pour conserver intacte une deuxième version (voire plusieurs versions) de chaque œuvre pour la postérité.

Toute la difficulté pour les scientifiques est donc de lui attribuer, ou non, certaines œuvres. Au XVIIème siècle, il n’était pas d’usage de signer une toile de son nom et les copistes étaient de parfaits faussaires, par nécessité… La restauration de quelques-unes des toiles du maître sévillan en vue de l’exposition (et à cet effet, leur radiographie), a beaucoup rebattu les cartes. Des attributions autrefois acceptées ne le sont plus aujourd’hui. Ou, au contraire, récemment établies, voire ré-établies ! Pour la petite histoire, le musée du Louvre a longtemps cru posséder des Velázquez, dont le « Portrait de l’infante Marguerite » (1654), prêté pour l’exposition. Cette toile a été rétrogradée une première fois au rang d’œuvre d’atelier ; puis réattribuée à Velázquez ; puis à nouveau déclassée comme une toile de son copiste attitré, son gendre Juan Bautista del Mazo – dont on peut d’ailleurs apprécier pour la première fois un grand nombre d’œuvres originales (et bien sûr des copies de Velázquez) tout au long de l’exposition. L’une des dernières salles lui est plus particulièrement réservée. Et c’est un plaisir de découvrir (ou de redécouvrir) qu’il y avait, au côté de Velázquez, des artistes de grand talent, peu ou pas connus du public.

Velazquez. Allégorie féminine. Photo: Valérie Maillard

Velazquez. Allégorie féminine. Photo: Valérie Maillard

Le « Portrait de Philippe IV en chasseur » (vers 1632), dont le musée du Prado de Madrid et le musée du Louvre (en dépôt au musée Goya de Castres) possèdent chacun une version, fait débat. On attribue généralement à Velázquez celui que détient le Prado. Celui que vous verrez au Grand Palais appartient au Louvre. Philippe IV se tient debout, tête nue et fusil à la main. Dans celle du Prado il porte un chapeau. Ces deux versions ont pu être exécutées en même temps par le maître ; elle comportent toutes deux des repentirs (reprises ou modifications qui n’existent, a priori, que dans les originaux) bien visibles à la radiographie. Il est donc indiqué sur le cartel qu’il s’agit d’une « deuxième version autographe de Velázquez ». Tel est en tout cas l’avis des organisateurs de l’exposition.

Cette difficile attribution des œuvres concerne bien d’autres artistes que le seul Velázquez. Régulièrement, les toiles de Vinci, Rembrandt, Rubens ou Goya sont déclassées… ou reclassées. Et font le miel ou l’infortune des musées. Pour les lecteurs attentifs des cartels, une précision s’impose : certaines toiles portent la mention « attribuée à Velázquez » (celles dont la paternité n’est pas unanimement établie, mais que le commissaire d’exposition attribue à Velázquez dans l’attente d’éventuels contradicteurs). Pour d’autres, figure un point d’interrogation (ces toiles ne sont pas considérées par les organisateurs comme des Velázquez, mais lui sont attribuées par d’autres spécialistes). Enfin, les toiles mentionnées « Velázquez » font consensus.

Le travail conséquent réalisé par les spécialistes dans la perspective de cette exposition aura sans aucun doute permis de réactualiser les connaissances sur le maître sévillan. Mais vous retiendrez plutôt de l’exposition l’œuvre globale et majeure rassemblée ici. Il faut savourer sans compter ce moment rare. Arrêtez-vous un instant devant la « Vénus au miroir » (vers 1647-1651) qui vous regarde discrètement la contempler de dos. Gardez du temps néanmoins pour les dernières salles, les deux niveaux des galeries nationales ont été exploités entièrement… et il y a beaucoup, beaucoup, à voir.

Valérie Maillard

(1) Cette exposition est organisée par la RMN-Grand Palais et le Louvre en collaboration avec le Kunsthistorisches Museum de Vienne.

« Vénus au miroir » (vers 1647-1651). Photo: Valérie Maillard

« Vénus au miroir » (vers 1647-1651). Photo: Valérie Maillard

 

Exposition « Velázquez », aux galeries nationales du Grand Palais, 3, avenue du général Eisenhower, 75008 Paris. Jusqu’au 13 juillet.

http://www.grandpalais.fr/fr/evenement/velazquez

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5 réponses à Velázquez et ses copistes règnent en maîtres au Grand Palais

  1. Philippe Bonnet dit :

    Juste avant la Vénus au miroir, les scénographes de l’exposition ont inscrit un un commentaire de Elie Faure dans son histoire de l’art, extrait notamment connu pour avoir été lu à voix haute dans une baignoire par Belmondo dans Pierrot le fou. En version élargie cela donne:  » Il ne saisissait plus dans le monde que les échanges mystérieux, qui font pénétrer les uns dans les autres les formes et les tons, par un progrès secret et continu dont aucun heurt, aucun sursaut ne dénonce ou n’interrompt la marche. L’espace règne. C’est comme une onde aérienne qui glisse sur les surfaces, s’imprègne de leurs émanations visibles pour les définir et les modeler, emporter partout ailleurs comme un parfum, comme un écho d’elles, qu’elle disperse sur toute l’étendue environnante en poussière impondérable ».
    Ce commentaire à vrai dire pourrait s’appliquer à beaucoup d’artistes. Mais c’est bien Velazquez qui en est l’inspirateur. PHB

  2. Maillard dit :

    Voici en effet la première phrase inscrite dans la rotonde du niveau supérieur des galeries nationales du Grand Palais et dont Philippe, que je remercie, a donné l’exacte teneur : « Velazquez, après cinquante ans ne peignait plus jamais une chose définie, il errait autour des objets avec l’air et le crépuscule, il surprenait dans l’ombre et la transparence des fonds les palpitations colorées dont il faisait le centre invisible de sa symphonie silencieuse. » Elle est en effet signée d’Elie Faure (in « Velazquez »-1903).
    Et d’en profiter pour pour réinviter à aller « écouter » cette symphonie dont il est question.

  3. Colette BLAISE dit :

    JE CROYAIS QUE LE LOUVRE NE POSSEDAIT PAS UNE SEULE TOILE DE VELASQUEZ ?

    • Valérie Maillard dit :

      Comme je le précise en début d’article, le Louvre ne détient officiellement pas de Velazquez. Cependant, si le « Portrait de Philippe IV en chasseur » (en dépot au musée Goya de Castres) était authentifié comme un Velazquez (comme le suppose le commissaire de l’exposition en évoquant un tableau autographe), le Louvre aurait « à nouveau » un Velazquez. Mais pour l’instant, vous avez raison, le Louvre ne détient aucun Velazquez…

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