« Richie », homme pressé et noirs désirs

"Richie", sur le mur de Google images. Photo: LSDPOn referme vaguement troublé et ému le livre que Raphaëlle Bacqué a rédigé sur Richard Descoings, le défunt directeur de l’Institut d’Etudes Politiques de Paris, alias Sciences Po.

La biographe lève le voile sur le tumultueux parcours d’un personnage au charisme époustouflant que fascinait sa propre perdition tous azimuts. Une mise en danger de soi (et parfois des autres) au plan sanitaire, professionnel et affectif.

L’ancien militant d’Aides qui dut toquer trois fois à la porte de l’ENA avant d’y entrer – blessure incicatrisable et rancune indélébile envers les grands corps – fut un aventurier des liaisons dangereuses. Un séducteur trouvant sa jouissance dans la nuit du Marais, un dépressif soumettant l’entourage aux vertiges de ses montagnes russes.

On pense au parcours de DSK, cet autre bolide carrossé pour se hisser sur la plus haute marche du podium et que bichonnaient ses équipes à chaque stand, mais qui n’en fonça pas moins dans le mur. Tous deux vécurent des nuits fauves, ouvrirent leur porte à des visiteurs de la nuit, eurent des fidèles pardonnant leurs incartades, des communicants pour gommer les traces de leurs frasques. Allant jusqu’à faire de leurs initiales un label quasi planétaire ou à enjoliver leur diminutif. C’est ainsi que le « Richie » des amphithéâtres estudiantins devint « Richie-D », subterfuge faisant d’un surnom limite irrévérencieux un synonyme de Géo- trouve-tout de la rue Saint-Guillaume ! Les similitudes de trajectoires n’ont pu échapper à Raphaëlle Bacqué, co-auteur avec sa consœur du Monde Anne Chemin, d’un livre sur Les Strauss-Kahn publié chez Albin Michel (LSDP du 23 août 2012).

En Attila des cœurs, Richard Descoings rend sympathiques celles et ceux dont il piétina le cœur. L’auteur décrit avec sensibilité le lien très fort qui unit jusqu’à la mort celui qui révolutionna Sciences Po à son épouse Nadia Marik et à Guillaume Pépy, homme du rail et compagnon de route. Tous deux luttèrent de concert pour arracher l’ensorceleur à ses démons. Dame de cœur et roi de cœur pour éclairer la face obscure du Janus de la séduction.

Qui se ressemble s’assemble. Richard et Guillaume possèdent la même élégance élancée, la même approche passionnée du métier et la même obsession de réformer. Ils sont sortis de la même école, passés tous deux par le Conseil d’Etat et fréquentent les mêmes élites. Leur destin devait se croiser. Celui que les journalistes spécialisés écoutaient bouche bée décrypter la libéralisation du chemin de fer français mit ses trains au service des ambitions professionnelles de son partenaire. Ici direction Londres, là direction Berlin. Mais c’est aussi d’un autre rail que Descoings fit large utilisation.

"Richie" sur le mur de Google images. Photo: LSDP

« Richie » sur le mur de Google images. Photo: LSDP

L’ouvrage, publié chez Grasset, se lit comme un roman policier et une étude de mœurs contemporaine. La description de funérailles de Richie en l’église Saint-Sulpice vaut à elle seule son pesant de caractères, espaces et signes. Le non conformisme de certaines personnalités politiques évoquées surprend. Agréablement. Le livre porte aussi un éclairage touchant sur l’indéfectibilité des sentiments et le courage qu’il faut pour les afficher à la face du monde. On le referme sur la tendre injonction de « Guillaume » : Ne salissez pas sa mémoire. Ce ne fut pas le dessein de la journaliste qui s’en tient aux faits, rien qu’aux faits puisés aux bonnes sources des proches pour livrer un portrait vivant, contrasté, dénué de jugement de valeur.

Au lecteur de se faire une opinion sur la rock star idolâtrée, brutalement décédée à l’âge de cinquante-quatre ans. Sur cet « homme pressé qui traversant le temps se voulait référence » pour emprunter aux paroles d’un groupe musical français aujourd’hui dissous. Il reste que ce billet du Maître soupirant son fantasme à l’étudiant fait dissonance. Gérer une pépinière de talents n’est pas plonger la main dans un vivier.

Guillemette de Fos

 

 

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2 réponses à « Richie », homme pressé et noirs désirs

  1. person philippe dit :

    Formidable votre compte-rendu qui, mieux qu’un compte-rendu, est une véritable bande-annonce vivante du livre de Bacqué…
    Quand on a trop fréquenté la rue Saint-Guillaume, on n’a pas trop envie de s’y replonger… Surtout quand, de temps en temps, quelqu’un vous fait le coup de « La Promotion » avec buffet pléthorique dans son grand (plutôt immense) appartement… On y retrouve des ministres (anciens ou nouveaux), des grands patrons, des écrivains (primés ou médiatiques), des journalistes (honnis ou honorés), quelques has been et même des never been (comme moi)… Et on pouvait y retrouver le grand chef, Richard, invité par le maître de maison, qui, par ailleurs, animait un séminaire bien rémunéré à Sciences-Po sur un sujet fumeux… On pouvait même plaisanter avec lui… mais comme on n’est pas comme le maître de maison, d’une grande famille régnant sur la politique ou l’économie, et qu’on a une sexualité de père de famille, cela ne se terminait pas par l’obtention d’un séminaire ou d’une conférence de méthodes…

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