« Le labyrinthe du silence » Les Allemands jugent les Allemands

L'affiche du film sur le web. Photo: LSDPLes récurrentes questions – Savaient-ils ? Qu’aurions nous fait à leur place ?- franchissent le Rhin cinématographique. Soixante dix ans après la fin de la seconde guerre mondiale, « Le labyrinthe du souvenir » revient sur la mécanique du procès de Francfort (1963-1965) intenté contre le personnel du plus grand camp de la mort. A Auschwitz furent gazés ou « exterminés par le travail » plus d’un million de juifs.

Johann Radmann, jeune procureur allemand au talent prometteur, ronge son frein au Parquet de Francfort. Il se désespère d’y traiter de banales infractions routières. C’est alors que son supérieur hiérarchique Fritz Bauer l’affecte avec à « l’affaire Auschwitz ». Il s’agit de traduire sur le sol allemand les rouages (in)humains de l’Holocauste, d’y juger leurs pairs responsables du système concentrationnaire.

La tâche est immense. Mais, poussé par le journaliste polonais Thomas Gnieka, l’ambitieux procureur se lance dans la traque des « exécuteurs » d’Auschwitz. Rêvant (plutôt cauchemardant) de capturer le monstrueux docteur Mengele, il va enquêter sur des centaines de SS ayant servi dans le camp de la mort, s’employer à recueillir les concrets témoignages des survivants. Mission ardue dans une Allemagne qui n’aspire qu’à l’oubli des meurtres du IIIe Reich…

Proche de la réalité historique, le film revient sur ce médiatique procès à portée matérielle et mémorielle. Il rend hommage au travail du Parquet de Francfort qui, en avance sur les historiens, rédigea un acte d’accusation de plus de sept cents pages, livrant aux juges un échantillon représentatif de l’organisation du camp – du commandant jusqu’au « kapo ». Le spectateur revit les conditions très particulières dans lesquelles eut lieu cet examen de conscience national quatorze années après Hiroshima. Nombre d’ »exécuteurs » vivaient alors en Allemagne sans être inquiétés, fourmillant même dans l’administration. Les Alliés avaient déjà réalisé le plus gros de la traque en condamnant les hauts gradés Nazis à Nuremberg. Les fondamentaux juridiques de l’époque ajoutaient à la difficulté : la législation allemande punissait les seuls crimes d’initiative, pas ceux commis en application des ordres reçus. La rétroactivité des lois étant anticonstitutionnelle, le génocide devait être traité comme une criminalité  « normale ». Nombreux étaient les Allemands à ne pas se sentir coupables puisqu’estimant avoir agi sous la contrainte.

Le réalisateur italien Giulio Riciarelli mène le procès tambour battant. Un thriller à la Costa-Gavras sans meurtres ni tortures autres que morales. Il vous embarque de la première à la dernière scène. Cette victime qui, reconnaissant son bourreau, lâche de saisissement tubes et pinceaux. Ces procureurs filmés de dos qui entrent dans le prétoire précédés du diable, ce chariot lourdement chargé des actes de procédure. « Le labyrinthe du silence » ne tombe jamais dans le pathos. Les dépositions à la barre des victimes, filmées en accéléré, font la charge assénée d’autant plus violente qu’elle est muette. Les grandes douleurs n’ont besoin ni d’images ni de mots. Le décor, la sonorisation, la musique (de Sebastian Pille) apportent au film impeccablement sous-titré un concours efficace : souliers cirés craquant sur le plancher encaustiqué, glaçons tintinnabulant dans un verre, portes qui s’ouvrent et se referment sur un dédale de couloirs. La procédure aussi est labyrinthique.

Le labyrinthe du silence sur le web. Photo: LSDP

Le labyrinthe du silence sur le web. Photo: LSDP

Œil azuréen et mèche blonde, Alexander Fehling est Johann Radman. Ne le cherchez pas dans la distribution d’Inglorious Basterds de Quentin Tarantino, il n’y a fait que de la figuration. Le jeune magistrat sentant la règle va se métamorphoser en implacable justicier habité, dévoré par sa mission. Gert Voss joue son patron Fritz Bauer. L’acteur allemand, décédé quatre mois avant la sortie du film outre-Rhin, campe un procureur général énigmatique, à la lassitude calculée pour nourrir le doute quant à la tenue du procès. Habile façon de capter l’intérêt du spectateur tout au long d’un film qui dure deux heures.

André Szymanski incarne le journaliste polonais Thomas Gnielka dont comprendra in fine pourquoi il attend du procès une forme de rédemption. La distribution ne mentionne pas le nom de l’actrice qui incarne la secrétaire de Johann Radmann. Sa prestation livre pourtant un élément de réponse à la question posée plus haut, lorsqu’elle transcrit – horrifiée jusqu’au malaise – le récit des atrocités nazies.

A noter cette similitude de patronymes susceptible d’entretenir une certaine confusion : Fritz Bauer, cet Allemand juif qui dut un temps s’exiler en Scandinavie, dirigea l’accusation au procès ; Richard Baer, le SS qui dirigea le camp d’Auschwitz, fit à ce titre partie de la vingtaine d’accusés. Il mourut en Californie avant d’avoir été jugé.

Guillemette de Fos

Le labyrinthe du silence sur le web. Photo: LSDP

Le labyrinthe du silence sur le web. Photo: LSDP

 

 

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Une réponse à « Le labyrinthe du silence » Les Allemands jugent les Allemands

  1. Bruno Sillard dit :

    Et toujours cette lancinante question, comment le peuple qui nous a donné Goethe, Einstein, Beethoven, Wagner, Marx, Thomas Man ou Nietzsche a pu un jour…
    Et toujours cette lancinante question, comment le peuple qui a porté le Bauhaus, qui a dominé la physique et la mathématique, la Bombe en est née peut-être. Le rêve de marcher sur la Lune aussi…
    Comment ce peuple a-il-pu…
    Tant que l’on ne donnera pas une réponse valable à la question, pourquoi une civilisation à un moment ne devient plus rien d‘autre qu’une machine à exterminer, les portes de l’insondable pourront toujours s’ouvrir. C’est alors qu’ on égorgera, au nom d’on ne sait quel Dieu qui ne peux pas exister; que l’on massacrera à coup de machette le voisin d’hier ; qu’alors un même peuple ne pourra exister, qu’ayant appris la quadrature du cercle du comment se « génocider » soit même. « Le ventre est encore fécond, d’où a surgi la bête immonde « , Brecht vise juste. Mais n’explique rien.
    Le regard, un jour le boulanger. Le regard, un jour l’homme dans le métro. Le regard, un jour, l’enfant du square aura perdu toute trace d’humanité. Pourquoi? Il sera trop tard.

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