Le Mucem bouscule les préjugés sur les lieux saints

Mont Sinaï, monastère de Sainte-Catherine, Elliott Erwitt, Égypte, 1958, tirage moderne, Magnum. © Elliott Erwitt/Magnum PhotosA chacun son Dieu, ses écritures, ses saints patrons, vraiment ? Saviez-vous que Jésus est l’un des plus grands prophètes de l’islam ? Que saint Georges est aussi un saint musulman ? Que des chrétiens prient dans le sanctuaire juif de la Grotte d’Elie à Haïfa, des juifs et des musulmans à la synagogue de Djerba et des musulmans à l’église Notre-Dame de la Garde de Marseille ?

Après une enquête-collecte de plusieurs années sur site, et sur la base d’un travail scientifique conduit par le CNRS et l’université d’Aix-Marseille, le mucem (musée des civilisations de l’Europe et de la Méditerranée de Marseille) livre une exposition sur les lieux saints partagés entre les trois religions monothéistes. Près de 400 objets ont été réunis pour être présentés aux visiteurs : œuvres d’art classique ou contemporain, documentaires, photos, objets usuels ou religieux…

Ainsi, apprend-on, les lieux saints partagés ne se situent pas seulement en Terre sainte, mais dans tout le bassin méditerranéen. Les religions juive, musulmane et catholique ont de nombreux prophètes et personnages en commun. La Bible raconte, par exemple, qu’après avoir quitté son pays natal Abraham s’est établi à Mambré, dans l’actuelle Palestine. Sous un chêne, il a offert l’hospitalité à trois anges. Pour le remercier, ceux-ci lui annoncèrent qu’il aurait enfin ce fils tant attendu (Isaac pour les juifs et les catholiques, Ismaël pour les musulmans).

Abraham, Mordechaï Perelman, XXe siècle, plâtre, 107 x 34 x 24 cm, musée d’art et d’histoire du Judaïsme, Paris, Photo Christophe Fouin © Musée d'art et d'histoire du Judaïsme, Paris.

Abraham, Mordechaï Perelman, XXe siècle, plâtre, Photo : Christophe Fouin © Musée d’art et d’histoire du Judaïsme, Paris.

Abraham a été inhumé au caveau des Patriarches à Hébron. Ce sanctuaire a fait l’objet d’appropriations confessionnelles successives jusqu’à sa partition en 1967, avec une mosquée d’un côté et une synagogue de l’autre.

On le sait d’autant plus vivement depuis le massacre d’Hébron en 1994, cette ville est le théâtre de tensions politiques et religieuses entre israéliens et palestiniens et ce lieu saint cristallise les antagonismes. Les commissaires d’exposition n’ont pas cherché à passer sous silence ces lieux contestés, tout le contraire, mais ils ont braqué leur projecteur sur des lieux de cohabitation plus pacifiques, voire très cordiaux, et l’on est rassuré d’avoir confirmation qu’il en existe encore. La grotte d’Elie au Mont Carmel est aujourd’hui un sanctuaire juif, on y croise des chrétiens, des druzes et des musulmans. Sur le mont Sinaï, haut lieu pour le prophète Moïse qui y reçu les Tables de la loi, et pour le prophète Muhammad qui y séjourna avant la révélation du Coran, une chapelle côtoie une mosquée. Au pied de la montagne, le monastère grec orthodoxe de Sainte-Catherine abrite depuis le XIIème siècle une mosquée.

Marie est un personnage passerelle entre christianisme et islam. Pour les chrétiens, elle est la mère du fils de Dieu, pour les musulmans, la mère du prophète Jésus. On apprend qu’elle est mentionnée plus souvent dans le Coran que dans le Nouveau Testament (34 occurrences contre 19) et qu’elle est le personnage central de deux sourates. D’importantes marques de dévotion mariale se sont installées dans les pratiques des musulmans, qui font appel à la Vierge en se rendant dans des sanctuaires chrétiens. Par ailleurs, comme pour les prophètes, Marie fait l’objet de pèlerinages mixtes depuis plusieurs siècles.

Sourate de Marie (détail), Abdallah Akar, Saint-Ouen-l’Aumône, France, XXIe siècle, calligraphie sur bois, feuille d’or, collages,  collection privée. © Abdallah Akar, photo Nicolas Fussler

Sourate de Marie (détail), Abdallah Akar, Saint-Ouen-l’Aumône, XXIe siècle © Abdallah Akar, photo: Nicolas Fussler

Compte tenu de son importance dans le christianisme et l’islam, la figure de Marie a pu être utilisée dans un but prosélyte, relèvent les commissaires d’exposition, comme instrument de conversion : « La littérature médiévale occidentale est ponctuée de rares miracles réalisés par la Vierge entraînant la conversion de fidèles musulmans au christianisme. Pendant la colonisation du Maghreb, les Français bâtirent des sanctuaires mariaux, investis par les musulmans sans que ces derniers se convertissent. Ces fréquentations y perdurent tout comme à Notre-Dame de la Garde à Marseille. Enfin, dans le contexte de durcissement des théologies exclusivistes, les fondamentalistes de l’« Etat islamique» rejettent violemment le culte de Marie » peut-on lire dans la documentation qui accompagne l’exposition. Nous avons peut-être alors à l’esprit cette image qui circule sur le web de fondamentalistes musulmans détruisant devant les caméras une statue de Marie.

L’exposition accorde enfin une large part à ceux que l’on nomme « témoins » ou « passeurs ». Djalâl ad-Dîn Rûmî, fondateur présumé de l’ordre des derviches tourneurs prônait dans ses poèmes l’ouverture aux autres religions. Professeur au Collège de France, Louis Massignon consacra sa vie à l’islam et fut déclaré à sa mort « le plus grand musulman parmi les chrétiens et le plus grand chrétien parmi les musulmans ». Et enfin le père jésuite Paolo Dall’Oglio, aujourd’hui retenu comme otage.

Evoquer les lieux saint partagés ou disputés est un sujet ô combien périlleux. Le Mucem s’en sort à merveille et l’exposition, tout à fait enrichissante – et qui plus est grand public –, est à recommander. C’est jusqu’au 31 août prochain, il ne reste malheureusement plus que quelques jours pour en profiter.

Valérie Maillard

« Lieux saints partagés », Mucem, 7, promenade Robert Laffont, 13002 Marseille. Jusqu’au 31 août.

Rachel’s Tomb (Tombe de Rachel), Zeev Raban, Tel Aviv, Israël, 1931, carte postale, 10 x 15cm, musée d’art et d’histoire du Judaïsme, Paris. © Musée d'art et d'histoire du Judaïsme, Paris

Rachel’s Tomb (Tombe de Rachel), Zeev Raban, Tel Aviv, Israël, 1931, carte postale, © Musée d’art et d’histoire du Judaïsme, Paris

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5 réponses à Le Mucem bouscule les préjugés sur les lieux saints

  1. Bruno Sillard dit :

    Je pourrais dire un papier salutaire, un article nécessaire… ben non, un sujet passionnant, j’y retourne. Merci!

  2. Launay dit :

    Très bel article… et tellement éclairant !

  3. Ping : Vu sur le blog « Les soirées de Paris  | «Pascal Launay

  4. Lise dit :

    cette cohabitation m’avait en effet frappé au monastère Sainte Catherine.
    c’est rassurant pour le genre humain de savoir qu’il y en a quelques autres.

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