De si doux biscuits

Biscuit de porcelaine. Photo: PHB/LSDPInnocente et indécente à la fois, cette figure d’enfant prépubère, compte au nombre des quelque 80 terres cuites et 120 biscuits de porcelaine exposés à Sèvres Cité de la céramique jusqu’au mois de janvier. Précieuse, raffinée, la scénographie se subdivise en plusieurs catégories témoignant notamment de la volonté de Louis XV et de Madame de Pompadour de développer ce genre si particulier dont la fonction centrale était l’ornement.

Pour bien profiter de ce parcours tout en grâces il convient d’emblée d’intégrer quelques rudiments techniques préalables à la réalisation d’un biscuit. Avant de découvrir les ressources du kaolin dans la région de Limoges, matière à la base de la porcelaine chinoise, on utilisait un « mélange vitreux » dénommé la « fritte ». C’était une pâte dite tendre car elle ne cuisait qu’à basse température. Quand le kaolin de Saint-Yrieix débarque, argile blanche à laquelle il convient d’ajouter du feldspath et du quartz, la production française peut commencer à envisager de concurrencer l’aîné chinois.

Et tout cela afin de créer le fameux « biscuit », soit une porcelaine non émaillée, à l’aspect mat. Le terme vient de l’italien biscotto, mot qui désignait la pâte dans les faïenceries italiennes de la Renaissance. Pour arriver à ces petites merveilles de pudeur et d’impudeur évoquant l’amour, les nymphes, l’enfance, les sujets littéraires, les œuvres religieuses, il fallait qu’une « ronde moules plâtre » pour la réédition des modèles, succédât à une « ronde de moules pâte » pour la confection d’un objet en porcelaine proprement dite. L’association de ces rondes de moules avec, à l’origine, de la matière appelée « fritte », peut certes prêter à sourire dans cette exposition en tout point aimable.

L'évanouissement de Sainte Madeleine. Etienne-Maurice Falconnet (1716-1791). Photo: PHB/LSDP

L’évanouissement de Sainte Madeleine. Etienne-Maurice Falconnet (1716-1791). Photo: PHB/LSDP

Ce qui est frappant, c’est l’uniformité sensuelle de la plupart des pièces présentées. Il en va ainsi de cette œuvre représentant « l’évanouissement de Sainte Madeleine », ladite Madeleine étant seulement munie d’un pagne lui recouvrant partiellement les jambes et au-dessus d’elle, l’intervention d’un ange que seul le devoir motive.

Ces biscuits de porcelaine, pardon pour l’incise quelque peu déplacée, instaure le « topless » comme un mode de représentation obligatoire chez les femmes et les jeunes femmes, ce qui se conçoit assez pour une allégorie de la jalousie et qui finalement ne choque pas tant que ça sur le terrain religieux. Une irruption de « Femen » à la Cité de la céramique passerait dès lors non seulement inaperçue mais serait même contreproductive au milieu de cette farandole de ces si doux biscuits.

On ne manquera pas de s’intéresser également aux « surtouts de table » destinés aux parements des repas, aux pièces révolutionnaires bien plus sérieuses comme la représentation d’un esclave en médaillon revendiquant son statut d’homme et, jusqu’à la ronde de personnages historiques qui clôture le parcours en guise de recadrage moral.

Baptisée « La manufacture des lumières », cette exposition porte bien son nom au sein de ce beau musée qui se tient prudemment à l’écart de toute cette actualité qui nous assombrit l’humeur.

PHB

« La manufacture des Lumières ». Sèvres Cité de la céramique. Jusqu’au 18 janvier 2016.

Pièce exposée à Sèvres Cité de la céramique. Photo: PHB/LSDP

Pièce exposée à Sèvres Cité de la céramique. Photo: PHB/LSDP

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Une réponse à De si doux biscuits

  1. Nonos de Lutetia dit :

    Magnifique exposition dans les combles de ce musée, un tantinet désuet.
    De l’autre côté de la Seine, face à Boulogne, l’on se sent transporté dans la douce vie de province, loin de l’agitation parisienne, et de ses musées ou expos bondés. Ici, le calme, le silence et le soleil viennent jouer sur la blancheur des ces pièces d’exception. De quoi rêver de tables royales, avec ces incomparables surtouts racontant une histoire, souvent en musique. Des putti descendus des toiles de Boucher pour jouer sur votre table ! Les amoureux de Don Quichotte ne se lasseront pas devant les aventures de Sancho Pança en terre cuite et en biscuit.
    Des trésors cachés à découvrir de toute urgence !

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