La plupart des robes et effets de la comtesse Greffulhe n’ont presque pas été portés. Et ce qui est toujours émouvant, lorsqu’il s’agit d’un « personnage », notamment cité dans « A la recherche du temps perdu », c’est que l’on peut toujours déceler quelques traces de transpiration et autres reliquats de nature disons… physiologiques. Près d’un pour cent de la garde-robe de la comtesse est actuellement exposé au Palais Galliera, ce qui donne une idée de l’étendue de son dressing.
Pour un restaurateur du patrimoine spécialisé dans le textile, une trace de sueur sous les aisselles représente une difficulté puisque l’acidité a rongé les tissus mais c’est aussi une trace de vie. Et celle de la paraît-il, « divine » comtesse, est enviable car celle-ci menait grand train tout en sachant se montrer généreuse en soutenant par exemple les époux Curie.
Née en 1860, Elisabeth de Caraman-Chimay en 1860 a connu la fin du second empire, traversé deux républiques, enjambé deux guerres mondiales, fréquenté la Belle Epoque, les années folles et il est même convenu de parler de règne à son endroit tellement sa personne était juchée haut. Son mariage avec le fortuné Henry Greffulhe, fait d’elle une femme en vue, réputée pour sa beauté et son esprit. Son cursus indique qu’elle recevait dans son château du Bois-Boudran, sa villa de Dieppe ou son hôtel particulier de la rue d’Astorg. Pour faire au plus synthétique disons encore qu’elle inventa la collecte de fonds, fait de la production de spectacles, soutenait pêle-mêle le capitaine Dreyfus, Léon Blum, le Front populaire et, on l’a déjà dit, les époux Curie. Elle est morte en 1952 sur les bords du Léman.
Comme elle avait la taille élancée, très fine, elle pouvait se permettre de s’habiller sans souci de camouflage et se laisser envelopper dans les plus prestigieux modèles. On ne saurait les citer tous sur cette page mais cette robe d’intérieure, également appelée « tea-gown »parce qu’elle convenait pour prendre le thé, laisse quelque peu bouche-bée. Somptueuse, elle est faite d’un velours ciselé en vert intense, de façon à mettre en avant la chevelure auburn de la comtesse. Elle est signée Jean-Philippe Worth, fils de Charles Frédérick, « inventeur » de la haute-couture.
Mais l’un des clous de l’exposition est cette « Robe aux Lys » pour laquelle une pièce entière a été réservée en fin de parcours. Elle a été réalisée par Worth (la griffe n’y est plus) mais il est dit que c’est avant tout une création de la comtesse. C’est pourtant une coupe « princesse » sans couture à la taille. Elle comprend une « berthe », sorte de col qui pouvait se replier en ailes de chauve-souris, « allusion à l’animal de tutélaire de son oncle Robert de Montesquiou ». Et les fleurs de lys sont là pour rappeler un poème que ce dernier lui avait dédié. En velours noir, applications de soie ivoire en formes de lys rebrodées de perles et de paillettes métalliques, l’ensemble a été, apprend-on, « remanié ultérieurement ». Une pure merveille dont on ne sait si elle requérait une camériste pour l’enfiler mais on s’en doute un peu.
L’exposition n’est pas profuse et c’est tant mieux, car chaque modèle bénéficie davantage de l’attention du visiteur. A toutes ces toilettes en compétition d’apparat et d’élégance, il faut ajouter que la scénographie comporte aussi des dessins de Paul-César Helleu que la comtesse ne voulait pas voir exposés car jugés trop intimes ainsi que quelques photographies.
Comme toujours le Palais Galliera nous contient dans notre position de gens ordinaires sauf peut-être le jour où nous en fîmes la visite puisqu’une femme en robe longue, manteau léopard, foulard et lunettes sombres glissait en silence d’une œuvre à l’autre sur le précieux parquet. Divine comtesse en mules de soie vous aviez ce jour-là une émule qui réfrénait son émoi.
PHB
Palais Galliera, « la mode retrouvée », jusqu’au 20 mars 2016
Oh ! J’aime bien le personnage de la comtesse Greffuhle, Proust et particulièrement le palais Galliéra… Où je suis déjà allée plusieurs fois, depuis bien longtemps (mais pas pendant de longues années).
Superbe chute ! de quoi nous donner un peu d’émoi à nous aussi. Il va falloir aller découvrir cette fameuse robe. Merci !
Pour en savoir plus sur la comtesse Greffulhe et ses relations avec Proust et son œuvre, vous pouvez lire l’excellente biographie de Laure Hillerin, « La comtesse Greffuhe, l’ombre des Guermantes » (Flammarion, 2014). L’auteur a également écrit un article sur la comtesse dans le superbe catalogue de l’exposition Galliera. Toutes les informations et actualités sur la comtesse sont disponible sur le site web http://www.comtessegreffulhe.fr/