Alexander Werth au chevet de Paris

Entre deux déplacements entre son bureau et celui de la censure, Alexander Werth croise Picasso chez Lipp ou au Flore. Il le voit accompagné de Dora Maar « qui a l’air jalouse comme une tigresse« . Alors qu’il est correspondant du Guardian dans la capitale française, Alexander Werth prend des notes en français sur les derniers jours de Paris. Nous sommes en mai 1940. Ses écrits qui ressortent aujourd’hui chez Slatkine nous interpellent comme un avertissement.

C’est l’époque où toutes les digues de défense françaises tombent les unes derrière les autres. Hitler ne pensait pas que ce serait si facile. La guerre, la « drôle de guerre » allait être perdue « en raison de l’impréparation, l’impéritie, la nullité à tous les niveaux de nos états-majors« , écrira Maurice Druon.

D’une certaine façon et c’est ce qui fait l’intérêt de ce livre, Alexander Werth décrit en creux le métier de journaliste à Paris alors que l’on bronze encore sur les berges de la Seine. Chaque article passe à la censure sans compter les instructions du ministère de la guerre au téléphone et que Alexander Werth surprend: « Rien sur le bombardement du Havre; rien sur l’Espagne et l’Italie; rien sur l’évacuation probable de la colonie anglaise de Paris« . Ce francophile manifeste ne cache pas son dégoût qu’il va oublier le soir en buvant du vin chez Carboni, un restaurant corse du boulevard Saint-Germain. Il apprend chaque jour à traduire les communiqués officiels. Si l’on se bat toujours « autour » de Saint-Quentin, cela signifie que la ville est tombée. Mais chut.

Ce récit très factuel, professionnel, ne durera qu’un mois  puisque les troupes allemandes entreront dans Paris le 14 juin. Elles le font sans difficulté puisque la ville est déclarée « ouverte« . Ce qui est drôle avec le recul, c’est la résistance de la banlieue, suscitant des protestations comiques de l’envahisseur contre ce manque de savoir-vivre. Un fait qui n’est pas sans rappeler la réplique de Humphrey Bogart dans « Casablanca »  conseillant à un officier allemand d’éviter quand même certains quartiers malsains de New York au cas ou l’idée lui viendrait de débarquer aux Etats Unis.

Derrière le rideau de fumée de la censure, Alexander Werth a bien compris que ce n’était plus qu’une question de jours, de semaines. Ces jours où forcément on prend conscience de l’état de paix qui prévalait auparavant et qu’il trop tard pour en profiter. En bon reporter, il va, vient, revient et toujours il note ce qu’il voit et entend. Sans manquer d’humour en bon Britannique qu’il est et en dépit de ses origines russes. Le 4 juin il détaille: « Je me suis réveillé à cinq heures et demie sous l’effet combiné de a) nervosité due au raid d’hier; b) une indigestion due au vin corse; c) du bruit sur le quai ». Pour se détendre il lui arrive de jouer au piano, du Bach, du Mozart, du Chopin.

Alexander Werth n’attendra pas les allemands, il part comme beaucoup monde, mortifié. Depuis une terrasse de Saint-Cloud il embrasse une dernière fois cette ville où manifestement il coulait des jours heureux entre son travail de journaliste et la fréquentation des artistes. Il décrit un « brouillard noir » épandu sur Paris par les allemands et dit « de toute ma vie je n’ai vécu une minute si hallucinante« . Une impression qu’il nous retransmet assez bien au point que l’on a du mal à se croire en 2017. Alexander Werth gagne Tours puis Bordeaux avant de rejoindre l’Angleterre par bateau. Il reviendra cependant dans la capitale française (après avoir été le correspondant de la BBC en Russie couvrant les sièges de Leningrad et Stalingrad) où il décédera en 1969. Son fils, l’historien Nicolas Werth nous en livre un peu plus sur son père dans une préface éclairante sur ce travail « serré » et à maints égards testamentaire.

PHB

 

« Les derniers jours de Paris » Alexander Werth. Slatkine&Cie 20 euros

NB: En 1999, était sorti un livre qui se voulait inquiétant, sous la plume de Philippe Delmas et qui s’intitulait « De la prochaine guerre avec l’Allemagne », chez Odile Jacob. L’auteur y pointait un fait: « vingt-trois guerres » entre les deux pays « en quatre siècles seulement ». L’ambiance précaire qui règne actuellement sur le monde avec la montée des souverainismes nous exhorte à la vigilance et à savoir profiter des temps de paix.

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3 réponses à Alexander Werth au chevet de Paris

  1. philippe person dit :

    Bigre ! le « souverainisme » est donc porteur de guerre et pas la mondialisation libérale avec son cortège d’horreurs économiques et son corollaire terroriste !
    On peut s’entendre avec l’ennemi de toujours, pas capituler devant lui… Jadis, je vous aurais choqué en disant que la Collaboration d’aujourd’hui avec l’Allemagne m’en rappelait un autre…
    Un pays libre est un pays souverain. Le mot est beau et pas entaché de je ne sais quel tache belliqueuse. Je ne pense pas qu’on est en paix quand il y a des SDF à tous les coins de rue, 10 millions de Français qui tutoient le seuil de pauvreté…et que « l’union » avec le grand voisin a précipité des millions de français dans la précarité…
    Je vous rappelle qu’il y a eu un seuil incompréhensible d’Un million de chômeurs suite à la politique du franc fort afin d’entrer dans l’euro, un autre million incompréhensible désormais avec le traité constitutionnel, les 3 % et tout le tralala…
    Donc 2 millions de chômeurs éternels, une désindustrialisation au profit de l’Allemagne, etc…
    Je sais que vous parlez culture et je vous en remercie… Mais s’il y a menace, c’est que cette situation est intolérable pour des millions de gens qui ne communient pas comme nous aux choses de l’esprit. S’il y a Trump et tous les autres, c’est suite à toutes ces injustices acceptées par les « pensant bien ». les barbares ne viennent jamais comme ça par pure méchanceté.
    Ce sont les civilisés (j’allais dire « pseudo-civilisés ») qui les enfantent, en créant par exemple une « Europe » au bénéfice des seules élites, tout en prétendant qu’il s’agit d’un beau rêve fraternel…
    Je crois que le paradoxe – désagréable à admettre – , c’est que ce sont les modérés qui sont les pires extrémistes… Je les appelle les « antipopulaires » et je mets dans ce mot autant de mépris et de haine qu’eux quand ils règlent le sort de tout contradicteur avec le mot « Populiste ».

    Désolé d’avoir été trop long (et je me contiens !), mais je crois que votre discours avec la référence au livre de Philippe Delmas est avant-coureur d’autres discours… énervants.
    Et rassurez vous, il n’y aura pas de prochaine guerre (classique) avec l’Allemagne, puisque celle-ci a déjà gagné la guerre économique et sociale qu’elle nous inflige depuis l’Acte Unique.

    • Oh, comme vous voyez juste! Mais comme le prophète des temps bibliques, vous prêchez, hélas, dans le désert. Ce forum n’atteint qu’un nombre restreint de lecteurs et ce ne sont pas ceux qui nous gouvernent qui vont vous écouter. Au sujet de l’Allemagne, il faudrait ajouter que c’est elle le grand pollueur de l’Union Européenne et qu’elle nous envoie sa pollution à partir de ses mines de charbon, jusqu’à l’Angleterre, phénomène laissé sous silence par les média et par nos autorités qui préfèrent accuser la voiture seule et imposer des mesures qui, seuls, ne régleront rien tant qu’on ne s’attaquera pas à TOUS les déclencheurs de cette pollution qui met la vie des citoyens en danger, les enfants et les personnes âgées notamment.

      • philippe person dit :

        Merci Thirza. J’avoue que cet argument imparable m’avait échappé… Vous voyez, c’est toujours utile de prêcher dans le désert : on y rencontre toujours de belles âmes !

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