Les jeux pour enfants ont été ôtés en raison des bris de verre qui parfois jonchent le sol. Le square Forceval n’est pas « bien » fréquenté. Coincé entre le boulevard extérieur et le boulevard périphérique, Porte de la Villette, il est surtout un lieu de repos, d’étape, pour des personnes qui semblent en errance ou en cours de transit migratoire. C’est sur cet endroit bien peu stratégique, garanti sans « people » que devrait être construit un nouveau funérarium en complément de celui du Père-Lachaise, arrivé à saturation.
C’est un jeune square, installé là pour accompagner l’édification du boulevard périphérique à la fin des années soixante. Il est dominé par deux beaux peupliers. Mais l’ensemble fait un peu abandonné. Il y a un cabanon de gardien avec une dalle de ciment qui sur un côté du moins sent l’urine. Quelques personnes viennent s’asseoir qui prennent le même genre de poses que des voyageurs en attente d’embarquement à l’aérogare d’Orly. C’est un lieu où on attend, pour des gens à l’agenda vide, en devenir incertain, sans échéance précise devant eux. Il fait partie de ces jardins ouverts en permanence, sans grille d’enceinte. Même en cas d’intempérie il reste accessible alors que les parcs plus convenables se ferment à la moindre brise. Le square Forceval est un jardin désolé pour individus à l’écart, exclus du plus modeste destin. Et à ce titre, il constituait une cible idéale pour calciner les anciens vivants, flamber les dépouilles en mode Suzette.
En 2017 son sort a été acté lors d’une délibération municipale. Dans les colonnes du Parisien, Pénélope Komitès adjointe aux Espaces verts et aux Affaire funéraires, avait un peu levé le voile sur les intentions de la ville. « Attention, avait-elle prévenu, un centre funéraire, ce n’est pas un machin qui fume, on parle d’un très bel objet architectural afin d’accueillir les Parisiens dans des conditions optimales, avec un columbarium, un jardin cinéraire d’au moins 700 m2. Ça peut être un bel endroit pour cette zone ». On ne doute pas une seconde qu’un architecte issu du pool des ré-inventeurs de la capitale se chargera en effet de faire de la « zone », un crématorium des plus branchés qui évitera aux défunts d’aller rôtir en enfer, d’aller se laquer l’enveloppe dans la géhenne, mais de s’évaporer sans laisser sur terre une empreinte carbone.
La capacité de l’incinérateur du futur est fixée à 4000 défunts par an soit un peu moins que celui du Père-Lachaise (ci-contre) qui depuis 1830 environ et ces derniers temps pouvait disperser en fumée près de 6000 âmes par an. Le crématorium-columbarium du Père-Lachaise est un bel édifice dont la construction remonte à 1887. C’est Jean Camille Formigé, notoire architecte des Serres d’Auteuil qui en est l’auteur. Il compte en sous-sol une œuvre de Paul Landowski et parmi les milliers de cases du columbarium on notera la trace gravée de Maria Callas sur un cénotaphe dûment tagué par ses fans.
En attendant, le jardin Forceval, reste balayé par les vents. Périmètre en déshérence, il protège de sa seule végétation ces voyageurs actuellement menacés de tri et qui se déplacent sans ticket. Les alentours comptent aussi quelques abris de fortune, cabanons précaires, autant de caractéristiques qui ont fait qu’une élue a cru bon de qualifier l’endroit de « zone ». Une fois le crématorium construit, les indésirables iront ailleurs, hors de vue. C’est aussi le sort réservé à ceux qui préfèrent que leurs dépouilles ne contribuent pas à enrichir l’humus parisien si riche d’histoire. Ils ont choisi de finir en volutes pour ne laisser à leurs proches qu’un thermos de cendres. Il y a des lieux comme ça, faits pour bifurquer, diverger, dégager, s’élever, disparaître enfin.
PHB
C’est là que je vous préfère, Philippe ! Un de vos meilleurs articles à coup sûr !
Très beau texte, oui
Beau papier indeed!!!!!!!!!!!!!!
Je transmets à mes (nombreux) amis des associations parisiennes pour qu’ils jettent un œil …au papier et sur… les intentions de nos brillants édiles parisiens!
beau texte merci
Cher Philippe,
Emouvant et incisif, lucide et poétique. Merci. A quand le recueil de poèmes en prose?
J’ai appris, hier, en visionnant l’ancien documentaire de Kholy sur Maria Callas, qu’après que son urne eut disparu, on la retrouva dans une allée deux jours après. Les cendres qui furent répandues en mer ne seraient peut-être pas les siennes. Preuve peut-être que la fascination qu’un être exerce sur ses semblables perdure jusqu’en ses cendres. Qui est qui? Qui va où? Callas, émigrée, fut poussée où l’on désira qu’elle fût.