En compagnie de Victor Hugo et de Jacques Ibanès

En 1839, Victor Hugo se promène dans le sud de la France avec sa compagne Juliette Drouet. Ils ont la chance de faire du tourisme, un mot encore très rare dans un pays où le labeur rural est toujours dominant. Au mois d’octobre ils passent en diligence devant la montagne Sainte-Victoire sans que cela ne les émeuve particulièrement. Cézanne n’a pas encore peint des dizaines de fois son sujet préféré. C’est en partant de cette information en creux que l’écrivain Jacques Ibanès vient de publier « Victor Hugo n’a pas vu la Sainte-Victoire ».

En se mettant dans les pas de l’homme immense qui voyait tout en grand, Jacques Ibanès a trouvé un bon prétexte pour nous faire également suivre les siens et nous parler de Cézanne on l’a dit, mais aussi de Colette, de Jacqueline  de Romilly et même d’Hemingway surpris alors qu’il faisait du stop en bord de route française. Et aussi d’un certain Jean-Antoine Constantin qui lui aussi avait peint le massif de la Sainte-Victoire, « envoûté » par son charme magnétique.

Mais pour s’autoriser tout un tas de digressions, si bien écrites que jamais on ne lâche son mince livre d’une centaine de pages, Jacques Ibanès doit payer son écot à cet Hugo qui voyait en Avignon une « petite ville d’un aspect colossal ». Incorrigible amplificateur qui allait jusqu’à ajouter de « la grandeur à la grandeur » histoire de ne jamais quitter les chemins de crêtes de ses pensées qui éclairaient les jours comme les nuits de ses contemporains.

Enfin, les pensées XXL de Victor Hugo connaissaient aussi des bas. Jacques Ibanès raconte qu’à cette époque où le chemin de fer n’avait encore acquis tout son déploiement, Victor Hugo et Juliette Drouet avaient choisi le bateau à voile pour aller de Lyon à Avignon. Il fallait 12 heures de trajet jusqu’à la Cité des Papes pour se changer du frisquet climat lyonnais, ce qui a fait dire à Hugo que durant ce laps de temps il était passé de « novembre à juillet ». Encore une bonne formule de ce cerveau jamais en reste. Mais là où l’anecdote vaut son pesant de monnaie, c’est que l’auteur des « Misérables » doit à la fin de son trajet, affronter la communauté oubliée des portefaix, c’est à dire des hommes qui prenaient d’autorité vos bagages pour les emmener à l’hôtel contre rétribution. Un péage que Victor Hugo avait avalé de travers nous narre Jacques Ibanés. Pourtant connu pour sa générosité, le voyageur contemplatif ayant vogué sur le Rhône avait dû s’acquitter mal gré de trente sous pour le service. Ce qui lui avait fait dire dans une lettre adressée à sa femme officielle restée à Paris, « je me souviendrai jusqu’à mon dernier jour de la pièce de trente sous d’Avignon ».

Massif de Sainte-Victoire

C’est ainsi que court le livre avec des anecdotes personnelles qui font écho à la vie itinérante de Victor Hugo. Et ce musicien qu’est Jacques Ibanès, par ailleurs interprète talentueux de de Guillaume Apollinaire, nous bringuebale de page en page dans sa propre érudition avec une légèreté pleine d’agrément. Nous sommes conviés à suivre cet anachronique attelage littéraire en diligence, parfois en train, en voiture ou en bateau, avec des passagers inattendus autant que dépareillés. Jacques Ibanès laisse  même filtrer une admiration sensuelle pour Colette dont il caressait les livres de la main au moment de son adolescence, avec semble-t-il, d’autres idées en tête. D’ailleurs à quoi pensait Cézanne en peignant et repeignant la Sainte-Victoire. À la géologie, à l’esprit du cubisme qui émergeait mine de rien sous son pinceau? Pour Jacques Ibanès c’est plus simple, il la traitait surtout comme une femme désirée, que nul ne connaissait mieux que lui.

PHB

« Victor Hugo n’a pas vu la Sainte-Victoire » Jacques Ibanès Fauve Éditions 14 euros

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3 réponses à En compagnie de Victor Hugo et de Jacques Ibanès

  1. André Lombard dit :

    S’il arrive à certains personnages de s’éclipser en cours de route, ou plutôt au fil de la plume, pour ainsi en laisser un autre soudain apparaître, il y a un qui – quoique en filigrane – est toujours intensément là à nos côtés, fortement présent en chaque page : l’auteur lui-même est ici, en effet, guide et sujet en ce livre qui se lit d’un trait.
    André Lombard 84750 Viens.

    • André Lombard dit :

      PS : Le plus souvent en filigrane.
      Et non quoique en filigrane. Car l’auteur, par endroits, se raconte aussi très directement.

  2. Ping : Irrésistible pont | Les Soirées de Paris

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