Renaissance éternelle à Langres

«Il y a là les glacis, les bastions et les chemins couverts et aussi le dépouillement, la netteté, l’austérité de lignes d’une forteresse centrale naturelle, d’un Verdun qui n’aurait pas rencontré son destin.(…) Une cité marquée de façon si éclatante pour l’histoire et que l’histoire a dédaignée.» Julien Gracq Carnets du Grand Chemin.
À l’instar du fort Bastiani évoqué par Dino Buzzati dans «Le désert des tartares», aucune invasion ne viendra jamais troubler la tranquillité des lieux sauf celle plus récente de constructions nouvelles susceptibles de rompre la magie architecturale de la ville de Langres où les «maisons bourgeoises», les «petits palais urbains» et les «hôtels particuliers» des riches notables de la Renaissance rivalisent toujours d’élégance et de modernité.
Nichée à l’intérieur de ses fortifications en étoile, aux croisement de la Bourgogne, de la Franche Comté et de la Lorraine, la bonne cité de Langres –surnommée aussi «la pucelle» pour les raisons évoquées précédemment- a donné à la France un grand homme, l’encyclopédiste Denis Diderot né sur place en 1713, dont la statue signée Auguste Bartholdi, tourne ostensiblement le dos à la cathédrale toute proche, et… un merveilleux fromage –pour les amateurs- reconnaissable à sa couleur orangée et dégusté dans le monde entier. Pas si mal pour une ville de 7000 habitants, un chiffre resté stable depuis la Renaissance, après un pic à 11 000 dans les années 1970/80.

Le patrimoine architectural exceptionnel bâti à l’apogée du rayonnement de la cité et qui en est le témoin plusieurs siècles plus tard, constitue un véritable musée «Renaissance» à ciel ouvert. Et c’est tout l’objet de l’exposition «Langres Renaissance 2018» du Musée d’art et d’histoire de la ville que de rendre hommage à cette époque de bouillonnement artistique et intellectuel. Une présentation exceptionnelle, fruit d’un travail de préparation de plusieurs années assorti de recherches et de restaurations considérables. Plus de 175 œuvres sont rassemblées couvrant les domaines de l’architecture, de la peinture, de la sculpture, de l’orfèvrerie, de la tapisserie, du vitrail, de l’enluminure et bien d’autres encore. Les artistes et artisans de l’époque sont sollicités pour des commandes royales, de nobles ou encore d‘hommes d’église qui se nomment Claude de Longwy, cardinal de Givry ou l’archidiacre Jean d’Amoncourt, qui vaudront à cette période faste la qualification de «l’âge d’or des choses de l’esprit».

Parmi eux le graveur Jean Duvet, une figure importante de la gravure française à la Renaissance, signe une «Apocalypse» exceptionnelle et foisonnante et Jean Cousin l’Ancien réalise les cartons des tapisseries de «la vie de Saint Mammès», le saint du diocèse. L’imprimerie est présente avec le travail en 1589 du chanoine Jean Tabourot qui signe sous l’anagramme Thoinot Arbeau «L’Orchésographie», le premier livre français consacré à la danse. Il y explique que «la danse est un art plaisant et profitable qui rend et conserve la santé, convenable aux jeunes, agréable aux vieux et bienséant à tous pourvu qu’on en use modestement en temps et lieu sans affectation vicieuse».

En ville, direction «la Maison des Lumières» (inaugurée en 2013) et sa superbe façade  (ci-contre) qui expose notamment les 35 volumes de l’édition originale de l’encyclopédie à laquelle Diderot consacrera plus de vingt années de sa vie. Il s’agit tout simplement de la plus vaste entreprise éditoriale du XVIIIe siècle. Une salle entière lui est consacrée qui relate l’histoire de cette aventure et de ce combat intellectuel de longue haleine avec ses soutiens et ses nombreux détracteurs. Plus loin, «la Maison Renaissance» abrite une rareté, le «Studiolo» (cabinet de travail) au précieux décor sculpté qui est à nouveau accessible, restauré après 40 années de fermeture. Plus loin encore, la chapelle d’Amoncourt sur le bas côté Nord de la cathédrale présente un décor renaissance remarquable avec sa voûte en berceau ornée de caissons sculptés repris comme en miroir sur les carreaux de faïence du sol. Et bien sûr nul ne saurait quitter les lieux sans avoir fait le tour du chemin de ronde long de 3,5 km et pénétré les tours de Navarre et d’Orval sur les pas de François 1er en 1521, 1534, 1546 et de Charles IX à l’occasion de son tour de France royal (1564-1566).

L’exposition s’accompagne d’un important programme d’animations culturelles de toutes sortes : concerts, conférences, banquet renaissance, démonstrations de hallebardiers, cinéma, danse, théatre, le tout clôturé par les fameuses rencontres philosophiques de Langres du 1er au 7 octobre prochain.

Marie-Pierre Sensey

Exposition Langres à la Renaissance
du 19 mai au 7 octobre 2018
Musée d’Art et d’Histoire
Place du Centenaire 52 200 Langres.

Ci- dessus: Jacques Langlois ou Pierre Blassé d’après Jean Cousin le père
(vers 1503-1560/1562) Mammès devant le gouvernement de Capadoce, détail
1544-1545/Paris, Musée du Louvre. Photo: MPS

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