Dans les abysses avec Florence Joly

Derrière l’entrelacs de couleurs il y a un crâne dont l’orbite est occupée par un petit fantôme. Il y a aussi un jeune voyageur spatial dont la tenue ressemble à une barboteuse. Une jeune femme nue est assise de dos sur une natte en forme de chat et l’animal n’a pas un œil mais un hublot à travers lequel un autre fantôme nous fait signe. Une partie de l’espace semble avoir été ouvert par une fermeture éclair dont la forme écartée est en soi un visage. Voilà que le doux venin de Florence Joly fait son effet. La plupart de ses œuvres mouvantes comme des sables (dont on voit ci-dessus un détail) sont actuellement exposées à la galerie « D’un livre l’autre » dans le troisième arrondissement.

Dans les années soixante-dix on aurait sûrement loué ses talents pour faire des pochettes de disques et d’ailleurs ses encres en ont le format. Elles ont une caractéristique qui fait indéniablement penser à cette époque-là: le psychédélisme. Un terme inventé en 1956 et qui permettait de qualifier les hallucinations que les drogues psychotropes provoquaient. Certains comprendront plus tard que l’ouverture chimique des champs de conscience donnait accès à un monde normalement invisible. Et que ce n’est pas parce qu’il était intérieur qu’il n’existait pas. L’hallucination n’existe que pour la personne qui la découvre d’où la tentation pour les autres de ranger le tout dans une sorte de cinéma mental dû à un dérangement passager.

Florence Joly ne prend pas de drogue et, née en 1966, elle était trop jeune pour les voyages expérimentaux. Il n’empêche que ses dessins colorés ou non produisent les même résultats qu’une pilule hallucinogène qui se dissout au fond de l’estomac. Commencer à en regarder une nécessite un peu de temps afin d’en découvrir les multiples tiroirs et ouvertures variées au sein desquels un visage se cache, un être mystérieux se révèle. Il est même probable que les jours et les mois passant un acquéreur sera susceptible d’en découvrir d’autres aspects. C’est ce qu’il convient d’appeler une mise en abyme, avec effet retard.

Mais parfois il s’agit pour l’artiste d’une mise en scène de sa propre vie. Il en va ainsi de ce scaphandrier plongé dans un monde végétal et qui s’en vient à rencontrer un autre lui-même nimbé d’une lumière bienfaisante. La précision du trait fascine. L’ambiance onirique captive. Cosmique, divin, maléfique, tendu, son art relève de l’art singulier mais en l’occurrence, l’étiquette peut sembler restrictive tant le déploiement imaginatif prend chez Florence Joly un essor exceptionnel.

Sa présence jusqu’au 26 juillet à la galerie « D’un livre l’autre » s’inscrit dans une continuité cohérente d’artistes ayant pour dénominateur commun, la faculté de faire passer le pictural du muet au parlant et d’emmener le visiteur de passage, de la réalité au songe éveillé. De ce point de vue (multiple), on se souviendra du séjour de Florence Joly rue Borda. Elle confie qu’elle vit le reste de l’année sur les hauteurs de Lyon, au milieu des vaches. Dont les bouses par ailleurs accueillent les psilocybes, des petits champignons à chapeau-cloche, bien connus des amateurs de voyages intérieurs.

PHB

« Métamorphoses », Florence Joly, Librairie/Galerie « D’un livre l’autre »
2 rue Borda, 75003 Paris. Jusqu’au 26 juillet

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Une réponse à Dans les abysses avec Florence Joly

  1. Joly dit :

    Un grand merci Philippe Bonnet pour cet article très inspiré sur mon travail, et dont les pointes d’humour de-ci de-là me ravissent ! Très reconnaissante. Bien cordialement. ☺

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