Mitchum à vif

Mitchum avait une façon pour le moins décontractée d’évoquer son métier d’acteur. D’abord il jugeait que si le chien Rintintin en était capable, lui pouvait le faire aussi. D’autre part il ne se racontait pas d’histoires avant de passer devant la caméra. Il estimait à ce moment précis où quelqu’un criait « moteur » : « Je suis comme une vieille pute, je n’ai pas besoin de me préparer. Je me pointe et je m’y mets ». Selon lui et pour finir, alors que « les jeunes ne veulent parler que de la méthode et de la motivation de leur personnage », à son époque en revanche, « on ne parlait que de baise et d’heures sup ». Ces propos rafraîchissants quoique tout à fait périmés, ne peuvent qu’inciter à découvrir son portrait qui sort en salles le 27 février.

Bruce Weber n’a manifestement pas cherché à crever le mystère qui fonde la personnalité de l’inoubliable méchant des « Nerfs à vif ». Mais son approche modeste, sobre, y parvient paradoxalement, séquence après séquence. Les silences de Robert Mitchum ont cette caractéristique d’être tout aussi éloquents que ses interventions au demeurant fort mesurées et à haute teneur caustique. L’acteur Benicio Del Toro se souvient dans ce film-documentaire être allé trouver un jour ce personnage à part pour lui confier son admiration. Réponse de Mitchum: « Je parie que vous dites ça à toutes les filles ». C’est drôle en soi mais l’habile montage de Bruce Weber démontre que la parade était systémique afin de camoufler ce qui devait être un mélange de pudeur et de modestie. Y compris au registre de la dérision lorsqu’il affirmait: « Je devais débuter dans des rôles d’obsédé sexuel, mais j’ai échoué à l’examen médical ». Lui le tombeur collectionnant les trophées mais parallèlement fidèle à une femme qu’il n’abandonnera jamais. Son épouse Dorothy qui nous est-il raconté savait intervenir à temps dans une bagarre afin de signifier à Bob qu’il était temps d’arrêter. « L’alcool, les filles tout est vrai, inventez d’autres trucs si ça vous chante » recommandait-il avec une superbe indifférence.  Pour ce qui est de l’alcool, l’acteur français Lino Ventura se souvient (ce n’est pas dans le film), un jour qu’il partageait sa table, de l’incroyable capacité de Mitchum à écluser des quantités phénoménales de boissons diverses. Et on peut supposer que venant de Ventura, cette appréciation teintée d’étonnement valait une certification en soi.

Le documentaire de Bruce Weber, « Nice girls don’t stay for breakfast » quoique incomplet, ravira les fans. Ce portrait est un hommage à un monument par ailleurs féru de culture et de poésie. Mitchum a d’ailleurs publié ses premiers poèmes alors qu’il n’avait que 8 ans dans l’organe « The Bridgeport Post-Telegram ». Né en 1917 (justement à Bridgeport, Connecticut), Mitchum se fait très vite connaître par ses frasques. En 1933 il est arrêté pour vagabondage à Savannah en Géorgie. Il est condamné à rejoindre un camp de forçats dont il s’évadera. Avant de faire ses débuts dans le cinéma en 1943 avec « La justice du Lasso » il écrit des pièces pour enfants et aussi des chansons. La même année, il convole avec Dorothy Spence. Loin de se ranger, il sera arrêté et incarcéré pour état d’ivresse en 1945, inculpé pour détention de marijuana en 1948 et à nouveau condamné en 1949 à 60 jours de prison pour association de malfaiteurs. Quelques bagarres plus loin dont une où il est réputé avoir mis KO un champion de boxe, il finira vers 1955 par devenir l’un des plus grands acteurs de Hollywood avec des titres phares comme « La nuit du chasseur » et « Pour que vivent les hommes ». Les années suivantes le verront également sortir des disques avec sa voix si particulière que nous donne à entendre le film tout en noir et blanc de Bruce Weber. C’est dans « Dead man » le film de Jim Jarmusch sorti en 1995 qu’il fera une de ses dernières apparitions. Johnny Depp, sollicité dans « Nice girls don’t stay for Breakfast », nous livre à ce sujet un précieux et fort sobre témoignage.

Difficile d’affirmer que ce portrait commis par Bruce Weber pourrait séduire de jeunes générations à l’heure de Netflix. Mitchum est devenu à maints égards un anachronisme. Cependant que ce long métrage peut se regarder comme une fresque, abordant avec beaucoup de précautions ce monsieur hors du commun. La caméra jamais intrusive, intervient comme un drone furtif.

Quatre-vingt-dix minutes sur Mitchum c’est toujours bon à prendre. Lui qui nous regarde à la fois narquois et amène derrière ses immenses lunettes, exhalant de temps à autre la fumée de ses Pall Mall sans filtre. « Nice girls don’t stay for breakfast » permet de le deviner davantage et c’est déjà pas mal (sans filtre également).

PHB

« Nice girls don’t stay for breakfast », sortie le 27 février

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4 réponses à Mitchum à vif

  1. Dany Sautot dit :

    Merci pour cette belle entame de semaine en compagnie de l’immense Robert Mitchum !
    Votre blog est vraiment génial, mais là je suis comblée…

  2. philippe person dit :

    je me souviens quand on disait « Robert Mitchum », il y avait toujours quelqu’un qui ajoutait : « à vos souhaits ».
    Politiquement, Mitchum était un vrai homme de gauche américain… Il a toujours voté socialiste !
    Ce qui, là-bas, équivaut au vote NPA chez nous…
    Avec Burt Lancaster, il incarne le meilleur d’Hollywood… C’est dommage qu’il n’ait pas joué lui aussi un prince sicilien !
    Il y a un film de Jacques Tourneur, la griffe du passé, où il est confronté à Kirk Douglas. celui-ci est un pur produit du théâtre new-yorkais… Bob, Le nonchalant qui passe, le mange complètement, lui l’autodidacte…
    et qu’on se souvienne à jamais de son rôle maléfique dans « La Nuit du chasseur » !!!

  3. tristan felix dit :

    Figurez-vous, Philippe, que je suis encore amoureuse de lui… mais aussi de Kirk Douglas… le ruban de rêve argentique agit comme une onde enveloppante!

  4. Leconte dit :

    Et que dire du chef d’œuvre absolu « La Nuit du chasseur »… love ?

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