Elle pouvait se réparer. Si la bande magnétique s’était en effet brisée à force d’être sollicitée, il suffisait d’un peu d’habileté et d’un point de colle pour effacer le dommage. Nul autre support ne peut se prévaloir, hier comme aujourd’hui, de cette faculté. Elle c’était la cassette audio. Une dépêche AFP mentionnait cette semaine qu’une PME d’Avranches (Manche) avait décidé depuis le mois de novembre d’en produire de nouveau. Elle n’est pas la seule entreprise à embrayer, il y en a au moins une autre à Lannion. Quelques circuits marginaux se mettent en place de par le monde. Cependant il est peu probable que la cassette ressuscite avec la même vigueur que les disques en vinyle, mais enfin il est peut-être temps d’aller voir à la cave si le vieux magnéto à cassettes ou le désuet Walkman inventé par le patron Sony pour jouer au golf en musique, sont toujours là.
Les esprits modernes la regardent avec pitié et laissent même penser à ceux qui les exhument qu’elles se seront dégradées au point de ne plus pouvoir être écoutées. Mépris malvenu et lourde erreur, cinquante ans après, elles fonctionnent toujours. C’était une invention bien pratique. Le petit magnéto Philips était idéal pour aller sur la plage avec de la musique. Ça changeait substantiellement des transistors braillant le Tour de France et le « Chers amis bonjour » du Jeu des mille francs, à l’abri des parasols. Et quand la bande, y compris sur les chemins de Katmandou sortait de son cadre en plastique, il suffisait d’un banal stylo à bille pour la rembobiner.
En outre les jeunes (et moins jeunes) avaient bien compris l’avantage consistant à dupliquer sans limite les cassettes pour les copains. Ce faisant ils inventaient un échange de pair à pair (peer to peer) qui ferait hurler quelques années plus tard les multinationales du disque au nom du droit d’auteur et à l’heure d’internet. Avec des procès retentissants à la clé car industriels et auteurs s’estimaient spoliés par les petits malins. Ils oubliaient quand même une chose. Ainsi tel acquéreur d’un 33 tours des Pink Floyd en 1970 s’acquittait déjà avec son achat, de ces fameux droits d’auteurs. En achetant le même titre sur cassette quelque temps plus tard il payait derechef les droits. Avec l’arrivée des CD il repassait à la caisse avec un ticket comprenant toujours une taxe en faveur de l’artiste. Et en 2019, lorsqu’il passe une commande en ligne afin de garnir du même Pink Floyd d’origine la sonothèque de son téléphone, bing, il contribue encore. La cassette n’était donc que la deuxième étape d’un crypto-racket organisé à grande échelle. Néanmoins la technique s’en est mêlée. Car il est possible actuellement, comme pour les 33 tours, de se procurer pour pas très cher des convertisseurs. Ceux-ci numérisent les vieux sons vers les supports les plus modernes avec la possibilité de ne garder que les morceaux favoris. Mais ils ôtent alors le plaisir de l’écoute longue et ordonnée comme l’avait voulu en son temps l’artiste.
Sans compter que tout n’a pas été numérisé. Par exemple en 1972 la messe en fa de Pergolèse (Missa Romana) avait été enregistrée dans l’église romaine de Sant’Agnese. Et sauf erreur le 33 tours (Deutsche Harmonia Mundi) qui en a résulté n’a pas connu de suite numérique. Heureusement qu’il y avait les cassettes pour en faire des sauvegardes une fois le vinyle usé par la pointe des saphirs. C’est bien là toute la satisfaction de ne pas les avoir jetées aux orties. Et voilà maintenant qu’en plus on peut les convertir en suite binaire, en fugue informatique.
PHB
Ah oui alors, j’en ai usé des cassettes dans mon métier! Et j’en ai réparé pas mal!
J’en ai gardé pas mal aussi, comme des reliques, et je ne sais même plus si j’ai encore un petit magnéto pour les écouter, il faut que je descende voir à la cave.
Mais j’ai à peine maitrisé les Voice tracer électroniques que mon Smartphone a rendu la chose plus simple, pour une fois…
Sans compter les casettes TV qu’il a fallu convertir en DVD à l’aide de l’appareil idoine pendant des jours et des jours…
Quand aux 33 tours, j’en ai conservé quelques uns pour garder à l’oreille la voix de Callas dans « Tosca », celle de la Tebaldi dans « Aïda » ou celle de Caballe, Verrett et Domingo sans « Don Carlos » et tant d’ autres, car plus on a miniaturisé le son, plus il a perdu. Et cela bien avant le 33 tours revival, comme dit Philippe.
Y a-t-il eu une autre époque où la technique n’a cessé de nous imposer ses changements aussi souvent?