De si beaux visages

Trente-quatre portraits de jeunes gens s’exposent sur les murs de la Sellerie au musée d’Art et d’Archéologie d’Aurillac (Cantal). Leurs regards croisent les nôtres, tour à tour joyeux, inquiets, interrogateurs, durs ou tendres. Ils fixent l’objectif du photographe François Nolorgues venu à leur rencontre à Habitat Jeunes, le foyer qui les accueille à l’arrivée d’un périple que l’on devine long et douloureux. La plupart d’entre eux sont des migrants, venus d’Afghanistan, d’Afrique noire, du Maghreb… Ils sont ici pour reprendre pied dans la vie, se retrouver, bâtir un projet et redémarrer. Du reste, l’exposition s’appelle « Passages ».

Elle est née d’une conversation entre François Nolorgues et Jocelyne Alcaraz, animatrice socio-culturelle à Habitats Jeunes, en charge d’un projet subventionné par l’ARS, Agence régionale de la santé, sur « La prise en compte de la souffrance psychique des jeunes ». Tout en lui décrivant les parcours de ces jeunes gens, parfois mineurs, Jocelyne faisait remarquer à quel point ils étaient beaux. D’où l’idée de les photographier ! La règle du jeu était simple, les modèles d’un jour, consentants, avaient le choix des poses, des vêtements, des objets montrés. Les conditions de prise de vue étaient celles du studio. Pour les mineurs, l’interdiction de montrer leur visage est devenu projet artistique en soi. Les astuces pour cacher leurs traits tout en montrant leur personnalité par la position des mains, le recours à un drap ou à un numéro de danse acrobatique servent une expressivité très vive.

François a passé six jours avec eux et a su créer avec chacun un moment privilégié au cours duquel les jeunes, mis en confiance, ont pu se laisser aller et se prêter au jeu de la pose. L’objectif de cette action était de travailler sur leur confiance en soi et sur une image d’eux même souvent dégradée par le déracinement, un parcours semé de violences et sans doute une altérité pas toujours acceptée. À la franchise de leurs regards on peut penser que ça a été aussi l’occasion de regarder droit devant. Si tous sont nés quelque part, leurs destinations futures restent incertaines. Habitat Jeunes Cantal (ex Foyer des jeunes travailleurs) est une étape pour des actifs de 16 à 25 ans, en mesure de payer un loyer et porteurs d’un projet social ou professionnel. Migrants ou en rupture familiale, ils trouvent là un espace de stabilité et de sociabilité propice à renforcer leur autonomie, à bâtir leur citoyenneté et tout simplement à souffler. Les mineurs non accompagnés sont placés là par l’ASE, l’aide sociale à l’enfance. Certains s’en sortent, d’autres n’arriveront pas à surmonter leurs souffrances et leurs traumatismes. À écouter Jocelyne, on comprend vite que si jeunes, ils ont déjà connu bien plus ce que l’on n’aura jamais à affronter.

Le passage dans le studio a sans doute libéré quelque chose mais il a été indubitablement mis à profit par les mannequins improvisés pour s’offrir un moment de confort mais surtout d’affirmation de soi. Ils nous racontent tous un bout de leur histoire passée ou à inventer. Si l’un a choisi de ne montrer que les blessures sur ses jambes faites lors de sa traversée, les autres sont dans le mouvement, en partance pour quelque part ou quelque chose. Ce qui frappe c’est la présence des mains et une gestuelle très forte dont l’expressivité est renforcée par la neutralité du fond. Est-ce pour pallier à des difficultés à manier une langue, nouvelle pour la plupart d’entre eux ? Certains ont un bagage scolaire, d’autres ne sont jamais allés à l’école. L’un deux, au regard d’une incroyable douceur pose avec un crayon : il commence l’apprentissage de l’écriture. Une seule fille a été photographiée, elles sont beaucoup moins nombreuses que les garçons.

Les murs lambrissés de bois de la Sellerie offrent un cadre à la fois intime et solennel à cette série de portraits que l’on ne se lasse pas de regarder tant ils sont vivants et variés. Dans la salle d’à côté, Les Écuries (le Musée est installé dans l’ancien haras), des photos du studio Harcourt nous offrent leur très attendue série de portraits de stars, pas mal non plus quand même, et le constat est rapide : Bilal, Izarullah, Manon, Niez, Aman, et tous les autres supportent très bien la comparaison. Et l’on se dit que ces deux univers ne sont finalement pas si éloignés, tant on se sent interpellés par la même humanité des regards. Le texte en exergue du catalogue nous encourage à ne pas passer indifférents devant les portraits de ces jeunes mais à être les témoins de leur présence parmi nous. Il nous exhorte joliment à être des « passeurs d’humanité ». Pas de problèmes ! La vitalité qui se dégage de ces visages et de ces corps, cette envie de vivre, nous conforte dans notre certitude qu’on a bien raison de les accueillir. La question migratoire a dominé la campagne européenne, bien souvent pour les plus mauvaises raisons. Comme François Nolorgues et Jocelyne Alcaraz, regardons ces jeunes migrants exprimer leur désir de faire leur vie, à Aurillac ou plus loin. Leur place est ici.

Marie-Françoise Laborde

Cette belle exposition ne demande qu’à voyager et à être vue. Pour ce faire, il est possible de contacter: f.nolorgues@gmail.com

La Sellerie

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30 réponses à De si beaux visages

  1. Marie Blanche Degroote dit :

    J’ai lu votre article avec beaucoup de plaisir car il m’a fait revivre toutes les émotions ressenties à l’exposition.
    En effet… toutes les souffrances endurées, leur beauté, leur jeunesse, leur dignité…

    Ces photos devraient faire honte à tous ceux qui leur refusent leur droit à une nouvelle vie.
    Tant il est vrai que le passé ne nous apprend rien.
    Tous mes vœux à ces passagers. Qu’ils s’installent où ils le souhaitent et qu’ils y soient accueillis, habitants d’une planète qui appartient à tous.

  2. Deniau Nans dit :

    Une exposition remarquable. Le regard des individus sont percutant et nous met presque mal a l’aise, comme étant coupable.
    Sujets aux histoires hors normes, quasi épique et impensable.
    François Nolorgues a eu le plaisir de nous expliquer sa démarche, leurs histoires dans l’honnêteté et le respect le plus complet.

    Courage et espérance a ces êtes pleins d’envie et d’espoir somme toute.

  3. Francoise Chevrollier dit :

    J’ai été très touchée par ces portraits saisissants de vérité. Ils s’offrent à nous dans
    l’instant, et chacun/chacune semble nous dire : « Voilà ! C’est moi ou c’était moi à ce
    moment là. » Au moment où nos regards se croisent, ils nous font un don et nous défient
    même parfois et semblent nous interroger : « Et vous ? Qu’auriez-vous fait à notre place? »
    Ces portraits sont pleins d’attente d’un avenir meilleur.

  4. Dulac dit :

    Chaque être humain existe par le regard que l’on porte sur lui. Ici c’est un regard d’artiste bienveillant, qui nous incite à regarder autrement ces jeunes.
    Très belle exposition !

  5. Un face à face troublant, qui invite à un questionnement sur nos regards… croisés ;-). Merci pour cette très belle exposition !

  6. Michel Fort dit :

    Ce fut une très belle exposition… Ces portraits sont l’expression de cette vérité qui n’appartient qu’à soi. Chaque personnage nous invite discrètement dans sont voyage intérieur. Merci François.

  7. Thierry P. dit :

    Pour être si rare, l’authenticité qui traverse chaque portrait émane sans doute de celle qui habite la relation à la fois singulière et réciproque artiste/sujet.
    Cette expo doit à son tour faire ses voyages pour y transporter le plus possible d’ « humains ».

  8. Brun H. dit :

    Une exposition d’une rare élégance tant technique qu’esthétique.
    Un travail remarquable sur l’humain avec son lot de joies et de souffrances, le tout exprimé au travers de simples regards ou attitudes.
    Des jeunes d’une réelle beauté et d’une dignité avérée malgré leurs difficiles parcours, beauté et dignité captées d’une main de maître par le photographe.
    Un travail qui mérite d’être vu par le plus grand nombre.
    H.Brun

  9. Laparra J. dit :

    Merci Monsieur Nolorgues pour cette exposition lumineuse.Des « passages » qui traduisent respect, émotion et empathie.
    Bravo à ces jeunes et « chapeau » au photographe.
    J.Laparra

  10. marie gorgas dit :

    Élégance, délicatesse et sensibilité dans la frontalité.
    L’insaisissable est visible dans l’objectif de François Norlogues
    Passeur d’images lumineux et éclairé « des passages » à Aurillac

  11. Maisonneuve Françoise dit :

    Une confrontation avec ces beaux visages que nous dévisageons ….
    Un instant de rencontre avec ces passagers…une halte…une pause…
    Merci Francois pour ton regard bienveillant

  12. Sylvie Perrier dit :

    Photos très émouvantes. Les expressions des regards sont communicatives.
    Chapeau l’artiste.

  13. Lussan dit :

    Le regard posé à hauteur d’homme sur notre monde en mutation, le photographe nous expose la singularité de chacun de ces jeunes gens de passage.
    Une humanité qui réconcilie.

  14. claire Clavairolles dit :

    Une belle série de portraits dévoilant un face à face émouvant.

  15. Ok dit :

    Après Entropie, qui nous conviait à une observation singulière de nos sous-bois, François Nolorgues porte, avec Passages, son regard empreint d’une profonde humanité sur ces parcours d’hommes cabossés par la vie. Une humanité qui invite au partage.
    Merci pour ce témoignage qui fait du bien, en ces temps où l’intolérance s’exprime de plus en plus ouvertement.

  16. valerie greiveldinger dit :

    Un généreux bouquet de jeunesse, empreint de mélancolie, de colère et d’espoir. Une simplicité qui met en exergue l’émotion dans chacun des regards. Merci pour la sensibilité et la clairvoyance de cette exposition.

  17. Sylvain Clavel dit :

    Très belle exposition, artiste engagé, Bravo!

  18. Frédérique D dit :

    Une très belle exposition. En effet, leur place est ici …

  19. cécile MANHES dit :

    Félicitation François !!
    Tu as su faire passer une telle émotion à travers les regards ou les postures de ces jeunes. C’est d’ une beauté simple et sobre mais combien émouvante.
    J ai été captivée par l’humanité qui se dégage de ces tableaux.

    Bravo au photographe et bise à mon oncle….

  20. Mathilde C. dit :

    De magnifiques portraits, de l’engagement … Bravo au photographe, à Habitat Jeunes et aux modèles pour cette belle exposition !

  21. BOURBONNEUX dit :

    Je n’ai pas vu l’expos Mais j’ai acheté 4 clichés qui ont été exposés, en demandant à François Nolorgues de choisir des grands formats pour les tirages.
    C’est une réussite absolue, ce que j’aime dans ce travail c’est que dans chacun ses portrait on peut lire la difficulté de la vie des modèles et l’espoir d’une vie meilleure.
    On ressent également les échanges entre les modèles et François Nolorgues.
    Je pense que ce travail est très réussi.
    Je vie maintenant avec ces photos, c’est assez intense… Je crois que François Nolorgues pourrait s’attacher à photographier des groupes comme des élèves des personnes âgées, des fans qui déjeunent dans un même restaurant ..enfin des gens qui sont rassemblées pour une raison commune….
    Félicitations j’ai adoré votre travail
    Dominique Bourbonneux

  22. Isabelle E. dit :

    Entre douleur et détermination ces regards nous interrogent et nous captivent.
    Magnifique travail qui restitue la dignité et le courage de ces jeunes dont on devine des parcours semés d’épreuves.

  23. Une très belle exposition très certainement ! A découvrir je l’espère en Occitanie prochainement, beau travail d’humanité artistiquement partagée .

  24. Christèle dit :

    Je ne connaissais pas la structure de Habitats Jeunes et j’aime l’idée que l’on souhaite rendre les gens autonomes. Ma prof de yoga dit souvent qu’elle va nous apprendre à pêcher plutôt que de nous apporter du poisson dans l’assiette … Alors merci aux dirigeants de cette organisation véritable sponsors de l’autonomie (qui vient contrer le triste concept de l’abandon) et merci à François d’immortaliser ainsi ces gens, de les rendre dignes. Ces photos illustrent des histoires et c’est énorme. Merci à tous de nous faire partager cela.

  25. Pierre S. dit :

    Superb!

  26. Max B. dit :

    J’avais eu le privilège de découvrir il y a bientôt 2 ans quelques clichés de ce qui allait devenir cette exposition … À sa vision, je ne vais qu’abonder dans le sens des commentaires sur ce qu’exprime ces portraits : à travers le langage des mains mais sûrement davantage encore à travers les regards, remplis d’espoirs …
    Un beau moment et une belle leçon d’humanité qui pourrait ouvrir les yeux de ceux à qui l’étranger fait peur.

  27. Nathalie VANDEPUT dit :

    Magnifiques visages plein d’émotions.Extremement touchant.
    Bravo

  28. Fantini Eliane dit :

    Cette série de portraits révèle bien des délicatesses, la peau, le regard, les mains, des attitudes qui attendent, prennent et donnent. Un échange d’espoir pour que le monde comprenne enfin ! Ces jeunes ont eu la chance d’être bien accueillis et d’être l’objet d’une inspiration respectueuse et bienveillante. Je souhaite une belle vie à tous, clichés, sujets, acteurs d’une exposition où l’artiste photographe François Nolorgues excelle avec sincérité.

  29. je n’ai malheureusement pas pu être là pour cette exposition mais la présence de ces photographies en dit long sur les liens qu’a su tisser François avec ses portraits.

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