La mort est une chose transitoire…

… ainsi qu’aimait le rappeler le poète américain Alan Seeger, notamment cité en liminaire par le critique anglais William Archer, dans un recueil de poésie publié et traduit chez Payot en 1918. Il se trouve que le nom de ce poète mort lors de la première guerre mondiale le 4 juillet 1916, a réapparu sous les feux de l’actualité puisque la maison Taittinger a fait savoir au début du mois, qu’elle avait acquis l’édition originale du poème « Champagne ». Car le texte, c’est là le lien avec la marque champenoise, invite précisément à déguster le seul vin à même et en toutes circonstances de dissiper les états d’âme. Ce que la première dépêche AFP sur le sujet avait néanmoins omis de préciser, c’est qu’Alan Seeger avait été un ami de Guillaume Apollinaire et également un collaborateur des Soirées de Paris avec, dans le dernier numéro d’avant-guerre, un article parfaitement décalé sur les joies du base-ball.

Voilà ce qu’en disait Guillaume Apollinaire dans le numéro 23 du Bulletin des écrivains, en septembre 1916:

« Les quotidiens ont rapporté la mort, à la bataille de la Somme, d’Alan Seeger, engagé volontaire à la Légion étrangère et l’un des meilleurs d’entre les jeunes poètes qui honoraient les lettres américaines. Il était mon ami et collaborait aux Soirées de Paris. Engagé le 21 août, le soir même il partait pour Rouen où l’on formait un régiment de marche, content, me disait-il, de donner à la France une vie qui pouvait lui être utile. « Je suis heureux de faire la guerre », ajoutait-il, ce matin du 21 août (la dernière fois que je le vis), « parce que je défends la France, un pays que doivent défendre tous ceux qui ont de nobles sentiments. » De la France, ce qu’il aimait avant tout, c’est la grâce. Aussi était-il épris de cette époque charmante mais si malade que fut le 18e siècle. Pendant la guerre je n’ai eu de nouvelles d’Alan Seeger qu’indirectement, mais j’ai appris que jusqu’au bout il avait fait la guerre avec la même joie superbe qui l’animait lors de son engagement. Au moment de la déclaration de guerre Seeger avait donné à l’impression à Bruges son livre de vers. Énergiquement réclamé aux envahisseurs de la Belgique par l’ambassade américaine, le manuscrit arriva à Paris justement le lendemain de la mort du poète. On imprime le livre à cette heure en Amérique et il sera traduit en français. »

Ce qui fut fait chez Payot deux ans plus tard, dont l’intitulé complet était « Alan Seeger, le poète de la Légion étrangère, ses écrits ses poèmes réunis par son père et traduits par Odette Raimondi-Matheron. Un avertissement précise aussi que le poème « Champagne » a de son côté été traduit par le poète André Rivoire (1872-1930). Et cela donne pour les deux premiers quatrains:

« Vous qui rirez demain, dans les fêtes heureuses
À ce vin pétillant qui fait le teint vermeil
Et d’un flot si doré remplit les coupes creuses
Qu’on a l’illusion de boire du soleil,

Buvez quelquefois, vous, les promeneurs paisibles
Dont le pas lent s’attarde aux chemins sans danger,
À ceux qui, tombés là, sous des coups invisibles
Vous ont ont gardé la terre où l’on peut vendanger »

Et de conclure:

« Buvez!… Dans le vin d’or où passe un reflet rose
Laissez plus longuement vos lèvres se poser
En pensant qu’ils sont morts où la grappe est éclose,
Et ce sera pour eux comme un pieux baiser ».

Mais ce qui est extraordinaire tout de même, c’est qu’Alan Seeger avait prévu sa fin à travers un poème titré « I have a rendez-vous with Death ». Ce texte était réputé le préféré du président Kennedy. In extenso cela donnait:

« J’ai un rendez-vous avec la Mort
Sur quelque barricade âprement disputée,
Quand le printemps revient avec son ombre frémissante
Et quand l’air est rempli des fleurs du pommier.
J’ai un rendez-vous avec la Mort
Quand le printemps ramène les beaux jours bleus.
Dieu sait qu’il vaudrait mieux être au profond
Des oreillers de soie et de duvet parfumé
Où l’amour palpite dans le plus délicieux sommeil,
Pouls contre pouls et souffle contre souffle,
Où les réveils apaisés sont doux.
Mais j’ai un rendez-vous avec la Mort
À minuit, dans quelque ville en flammes,
Quand le printemps revient vers le nord cette année
Et je suis fidèle à ma parole,
Je ne manquerai pas ce rendez-vous. »

Lors de son voyage aux États-Unis, Emmanuel Macron avait cité le nom de ce beau jeune homme fauché à seulement 28 ans, devant les membres du Congrès et dans un hommage aux américains morts pour la France. C’était d’autant plus mérité que Seeger, n’avait pas attendu l’engagement de l’Amérique, pour aller défendre le pays de Voltaire et disparaître,  volatilisé, dans la bataille de la Somme.

Et voilà justement que deux années avant de mourir, Alan Seeger avait également publié un texte dans Les Soirées de Paris pour y évoquer le base-ball, un long article sur ce jeu américain dont les règles échappaient, échappent et échapperont toujours aux esprits cartésiens et même au-delà. Ses restes n’ont pas été retrouvés. Ils sont dans un ossuaire, ces sépultures qui rassemblaient les corps épars délestés de leur âme.

PHB

NB: L’image d’ouverture est la photo de Seeger publiée dans le recueil Payot en 1918
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5 réponses à La mort est une chose transitoire…

  1. BM Flourez dit :

    Merci de la chronique.
    Sans doute peut-on penser que Seeger avait lui aussi répondu à l’appel de Cendrars (dont il y a d’ailleurs trois poèmes dans le numéro des Soirées)…

    • Peter Read dit :

      Un bel hommage au poète mort, si jeune, pour la France. Merci Philippe. À Biarritz, la rue Alan Seeger rejoint l’avenue du Président J. F. Kennedy.

  2. tristan felix dit :

    C’est très émouvant. Merci, Philippe.

  3. Pierre DERENNE dit :

    Au musée de la Légion à Aubagne, on peut prendre conscience de mains destins choisis d’hommes dont la sensibilité et la virilité ne faisaient qu’un.

    • BM Flourez dit :

      Sur le site de l’Amicale des anciens de la Légion (http://amalep.free.fr/le/grands/canudo/canudo01.htm), un petit article fait mention de Cendrars et de Canudo. Sans doute faudrait-il inclure Seeger qui choisit donc aussi la Légion, pour la mémoire certes, mais aussi pour l’honneur d’un poète « qui ne manquait pas ses rendez-vous ».

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