Une bien malicieuse fourmi

Alors que sa réputation de scénariste n’était plus à faire, Julien Rappeneau se faisait, en 2016, un nom en tant que réalisateur avec le très réussi “Rosalie Blum” dont il signait également le scénario. Voici qu’aujourd’hui sort son deuxième film, “Fourmi”, tout aussi excellent que le précédent, présenté en avant-première au Film Francophone d’Angoulême dans la catégorie “Coups de cœur” avec un accueil chaleureux des plus mérités. Sans doute attendu au tournant à plus d’un titre, le décidément très talentueux scénariste-réalisateur a fait preuve une nouvelle fois d’une grande maîtrise cinématographique. Sens du récit, dialogues tirés au cordeau, humour qui fait mouche, personnages bien campés, casting impeccable, sens du rythme et une sensibilité pour les êtres à la dérive se retrouvent dans ce second opus. Tout comme “Rosalie Blum”, “Fourmi” est une touchante comédie à la teneur universelle qui nous renvoie à nos propres fragilités tout en nous donnant à espérer.

Si, à l’origine, Julien Rappeneau s’est inspiré d’un roman graphique espagnol dont l’histoire se déroule dans une banlieue défavorisée de Valence pour le situer cette fois dans le Nord de la France, reconstituant avec soin un microcosme social précis, l’histoire s’adresse à tout un chacun. De quoi s’agit-il ? Théo, douze ans, surnommé “Fourmi” par son amie Romane en raison de sa petite taille, passionné de football, vit difficilement la déchéance de son père qui, tombé dans l’alcoolisme, ne s’est pas remis de la perte de son emploi ni de son divorce. Sur le point d’être recruté par le mythique club de foot anglais Arsenal, mais finalement non sélectionné à cause de sa taille, Théo, pour redonner espoir à son père qui le voit déjà champion, se lance alors dans un énorme mensonge. L’enjeu pour le jeune garçon sera désormais de faire vivre ce mensonge auprès de tous…

Un enfant se bat pour aider son père à se relever. Mais au-delà de ce sujet touchant et fort, le mensonge de Théo s’avère un ressort dramaturgique des plus efficaces et le suspense est, par conséquent, sans cesse au rendez-vous. Comment, se demande-t-on, en totale empathie avec le personnage, va-t-il se dépêtrer de ce mensonge gros comme lui dont il n’avait bien évidemment pas pu évaluer toutes les répercussions ? Et puis a-t-il eu raison d’agir ainsi ? Un mensonge peut-il véritablement sauver un homme ?

Dans la lignée des grandes comédies sociales à l’anglaise telles que “The Full Monty”, “Billy Elliot” ou “La part des anges”, “Fourmi” traite avec tendresse et humour de sujets sombres (le chômage, l’alcoolisme, les couples séparés, la marginalité…), sans jamais tomber dans le pathos ni le misérabilisme, car, comme le dit si bien son réalisateur, “On peut aborder des thèmes graves sans les traiter frontalement en drame, en y insufflant de l’humour, voire même de la fantaisie et de la malice”. La fantaisie et la malice sont, en effet, bien présentes et on passe ainsi sans cesse du rire à l’émotion dans l’attente d’un dénouement, qu’au fil des rebondissements, on espère heureux.

Pour faire passer toutes ces émotions, il faut bien entendu d’excellents comédiens. Julien Rappeneau a indéniablement réussi son casting. François Damiens excelle dans le rôle pour le moins inattendu de Laurent, père tout aussi insupportable qu’attendrissant, brute épaisse au cœur tendre. L’humoriste belge fait preuve d’une belle sensibilité et forme avec Maleaume Paquin un merveilleux tandem, portant avec éclat cette relation père-fils. Quant au jeune Maleaume, que certains auront pu découvrir l’an passé dans le rôle-titre de “Rémi sans famille”, c’est indéniablement une perle rare. Sa belle bouille d’ange blond à qui l’on donnerait le bon dieu sans confession attire immédiatement notre sympathie et nous fait adhérer à son pieux mensonge. Il est craquant. Nous vivons le film à travers lui.

Les autres comédiens ne sont pas en reste car la force de ce film réside dans le fait de nous offrir, comme déjà dans “Rosalie Blum”, toute une galerie de savoureux personnages extrêmement attachants. Le petit monde de Théo est donc riche en couleurs, de Claude, l’entraîneur du club, campé par un André Dussolier débordant d’humanité et très calé en citations “footballistiques” à Antoine (Sébastien Chassagne), son neveu, plus féru de pâtisserie que de sport, mais plein de bonne volonté un rien maladroite, en passant par Chloé (Ludivine Sagnier), une mère pragmatique bien décidée à ne plus s’en laisser conter ou Sarah (Laetitia Dosch), l’assistante sociale largement débordée par sa vie professionnelle. On ne saurait tous les citer tant chaque rôle a son importance, mais la palme revient indéniablement aux amis de Théo. Avec “Fourmi”, Julien Rappeneau a posé sa caméra à hauteur d’enfant, ou plutôt à hauteur de pré-ado, et la petite bande composée de Romane, la meilleure amie de Théo, Karim, son grand copain et Max, son ami hikikomori (1) constitue une série de portraits des plus touchants avec fêlures là aussi au rendez-vous. Cassiopée Mayance, Ismaël Dramé et Pierre Gommé s’avèrent respectivement tous trois confondants de naturel avec une palette de jeu déjà étonnante pour leur jeune âge.

“Fourmi” est une comédie familiale on ne peut plus réussie qui fera du bien à tout un chacun, un “feel good movie”, comme disent les Américains. Rien de tel pour attaquer la rentrée avec confiance et dans la bonne humeur.

Isabelle Fauvel

(1) “Hikikomori” est un terme japonais qui décrit un état psychosocial et familial où des hommes, jeunes ou adolescents, décident de ne plus sortir de leur chambre. Ils se coupent du monde réel, de la société, pour vivre en autarcie, souvent pour échapper à la pression scolaire ou sociale. La plupart du temps ils ne se connectent plus au monde que virtuellement en surfant toute la journée sur Internet. Ce phénomène se répand au-delà du Japon.

“Fourmi”, scénario et réalisation de Julien Rappeneau, d’après le roman graphique espagnol “Dream Team” de Mario Torrecillas et Artur Laperla. Avec François Damiens (Laurent), Maleaume Paquin (Théo), André Dussolier (Claude), Ludivine Sagnier (Chloé), Laetitia Dosch (Sarah), Sébastien Chassagne (Antoine)… Musique de Martin Rappeneau. Sortie en salles le 4 septembre 2019.

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