Premier convoi, premier tome

Afin de mieux raconter l’histoire du premier convoi de Parisiens partis coloniser l’Algérie en 1848, Michèle Perret a créé une famille de personnages. Des femmes, des hommes et quelques enfants, tous pauvres, pour lesquels l’État français avait trouvé un bon moyen de les éloigner. La France comptait alors 40% de chômeurs et certains, gilets jaunes avant l’heure, avaient dressé des barricades. Les émeutes avaient été durement réprimées. Des prospectus vantant un pays de cocagne avaient été distribués. Ils promettaient aux volontaires « une petite maison et des terres à cultiver dans un pays de lacs et de rivières où poussent les bananiers, les orangers et le blé à foison ». Ce qui était faux.

Mais les bourgeois de cette deuxième République avaient pris peur et il fallait bien habiller de mots cette exfiltration de pauvres. Parmi ceux-là, il y avaient quelques séditieux, soucieux de fuir la police. Le voyage n’était pas officiellement permis à ces derniers, mais les autorités avaient su fermer les yeux. Du moment qu’ils débarrassaient le plancher, leur départ faisait figure d’aubaine. Entre le mois d’octobre 1848 et le mois de mars 1849, dix sept convois chargés de 850 personnes allaient quitter la métropole pour un avenir lointain autant qu’incertain.

Et c’est donc le premier d’entre eux qui fait l’objet de ce roman historique qui n’est pas sans rappeler la façon dont John Steinbeck avait mis en scène la dépression économique américaine à travers « Les raisins de la colère » (1939). Le parallèle entre Michèle Perret et le grand auteur américain n’est  pas impertinent dans la mesure où son livre  nous associe également à une famille de migrants. L’empathie qu’il provoque fonctionne, tel un engrenage efficace. Les personnages sont bien cernés, y compris un certain Alphonse de Lamartine (promoteur du drapeau bleu, blanc, rouge) qui joua à cette époque un rôle politique éminent. Agrégée de lettres, née en Algérie, Michèle Perret combine avec talent la fiction et la réalité.

Une large place est consacrée au déplacement. Les premiers volontaires quittent Bercy sur des chalands. Affamés, on leur donne à manger et à boire, ce qui déjà constitue pour eux une première victoire. Les voilà qui entreprennent, d’abord tirés par des haleurs encore plus pauvres qu’eux, un voyage qui va durer dix-huit jours via Chalon, par bateaux à vapeur sur la Saône et le Rhône jusqu’à Arles, puis en train d’Arles à Marseille, en corvette jusqu’à Arzew (petit port près d’Oran), encouragés ou flétris par les populations riveraines.

Leur lieu d’atterrissage et d’implantation en Algérie, sera Saint-Cloud, une petite ville de garnison où tout est à faire, où bien naturellement, le décor idyllique promis s’effondre. La France d’alors créait des villes en Algérie, des têtes de pont de sa longue politique de colonisation. Bien longtemps après 1848, en 1903 précisément, un prospectus encourageant les agriculteurs français faisait encore état de ces localités parties de zéro, avec leur date de création, comme Bayard, Jemmapes, Foy, Auribeau, Colbert, Champlain… Il leur était recommandé de « ne prendre la décision de quitter la Métropole » que s’ils se sentaient « la santé, l’énergie morale et le goût du travail qui sont indispensables pour réussir ».

Michèle Perret met admirablement en scène le débarquement de ces pionniers qui pouvaient devenir propriétaires de leur concession à la condition qu’ils réussissent en trois ans à la transformer en terre agricole. Sous sa plume la vie prend forme progressivement. Elle raconte la cohabitation avec les militaires, les espagnols et les arabes, la fréquentation des bêtes sauvages (lions, hyènes…) les maladies qui frappent comme la grande épidémie de choléra (importée par bateau depuis Marseille), les petits cafés qui se montent, les bals que l’on organise, les naissances. Elle dissèque cette petite société où déjà se dégagent, les courageux qui creusent, les malins qui comprennent vite comment s’enrichir, les bavards qui ne font rien d’autre que boire au bistrot, les hommes de petite morale qui préfèrent monter des bordels à Oran.

Ce que ces premiers colons voient ne correspond donc pas aux promesses de la Métropole, mais l’Algérie en tient d’autres. Et Michèle Perret nous donne aussi à voir le charme de ce pays à bien des égards envoûtant. Son histoire personnelle n’est sans doute pas pour rien dans le charme qui transparaît au fil des lignes, dans ce livre qui nous happe autant par la géographie algérienne et sa flore parfumée que par la personnalité de ses protagonistes. Certains d’entre eux abdiqueront et demanderont à rentrer. D’autres feront souche en même temps que leurs semences. Comme un rappel de la réalité, la liste nominative de ce premier convoi figure en dernière page. En attendant peut-être le second tome.

PHB

« Le premier convoi, 1848 ». Michèle Perret. Éditions Chèvre-feuille étoilée, parution le 27 octobre. 15 euros

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2 réponses à Premier convoi, premier tome

  1. Michèle Perret dit :

    Merci, Philippe Bonnet pour ce beau commentaire. J’avais un ancêtre sur l’Albatros. Il n’est pas mort, il n’est pas reparti. Il fallait rendre hommage à ces hommes et surtout ces femmes.

  2. sillard dit :

    Un sujet passionnant, y compris vu du point de vu hexagonal. Dès que l’on se penche, dans ses histoires de famille, ou grande Histoire, on croise aussitôt oncle voisin ou ami , dont le périple lui a mené en Afrique du Nord. Questions dérangeantes bien sûr… Avant l’Algérie quelle Histoire conter ?

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