Aux rayons des étoiles

Adolescent, Arthur Rimbaud s’amuse à transcrire en vers français un sujet de vers latins, dicté en classe. Le poème qui en résulte s’intitule « Ophélie ». L’on reste bouche bée par la maîtrise du jeune homme, un « tour de force » écrira-t-on d’ailleurs, oui bouche-bée par son exceptionnelle inspiration, son lyrisme multicolore et enfin la musicalité prodigieuse du texte. Il l’adresse en mai 1870 à cet autre poète qu’est Théodore de Banville, avec deux autres poèmes, « Sensation », « Soleil et chair », dans le but qu’ils soient publiés. Ce qui ne sera pas le cas. Dans sa lettre (1), il se vieillit de deux ans et souligne que son âge est celui des « espérances et des chimères ». Quel trésor Théodore de Banville (1823-1891) n’a-t-il pas laissé passer là, même s’il accepte de l’héberger un an plus tard. Voilà enfin pour une fin de semaine, de quoi affermir nos distances avec une actualité qui ne vole pas haut.

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Ophélie

Sur l’onde calme et noire où dorment les étoiles,
La blanche Ophélia flotte comme un grand lys,
Flotte très lentement, couchée en ses longs voiles…
– On entend dans les bois lointains des hallalis.

Voici plus de mille ans que la triste Ophélie
Passe, fantôme blanc, sur le long fleuve noir;
Voici plus de mille ans que sa douce folie
Murmure sa romance à la brise du soir.

Le vent baise ses seins et déploie en corolle
Ses grands voiles bercés mollement par les eaux;
Les saules frissonnants pleurent sur son épaule,
Sur son grand front rêveur s’inclinent les roseaux.

Les nénuphars froissés soupirent autour d’elle ;
Elle éveille parfois, dans un aune qui dort,
Quelque nid, d’où s’échappe un petit frisson d’aile:
– Un chant mystérieux tombe des astres d’or.

Ô pâle Ophélia, belle comme la neige!
Oui tu mourus, enfant, par un fleuve emporté !
C’est que les vents tombant des grands monts de Norwège
T’avaient parlé tout bas de l’âpre liberté ;

C’est qu’un souffle, tordant ta grande chevelure,
À ton esprit rêveur portait d’étranges bruits ;
Que ton cœur écoutait la voix de la Nature
Dans les plaintes de l’arbre et les soupirs des nuits ;

C’est que la voix des mers folles, comme un immense râle,
Brisait ton sein d’enfant, trop humain et trop doux ;
C’est qu’un matin d’avril, un beau cavalier pâle,
Un pauvre fou, s’assit muet à tes genoux!

Ciel ! Amour ! Liberté ! Quel rêve, ô pauvre Folle !
Tu te fondais à lui comme une neige au feu :
Tes grandes visions étranglaient ta parole.
– Et l’Infini terrible effara ton œil bleu !

Et le Poète dit qu’aux rayons des étoiles
Tu viens chercher, la nuit, les fleurs que tu cueillis,
Et qu’il a vu sur l’eau, couchée en ses longs voiles,
La blanche Ophélia flotter, comme un grand lys.

Texte retranscrit, ponctuation incluse, à partir de l’édition des œuvres complètes de Rimbaud, Bibliothèque de la Pléiade)

(1) On peut consulter l’original (coll Jacques Doucet)  ainsi que la lettre à Théodore de Banville en cliquant sur ce lien de la Sorbonne

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3 réponses à Aux rayons des étoiles

  1. philippe person dit :

    Merci Philippe,
    somewhere over the Rimbaud !
    on en a besoin
    et aussi de …

    Mon beau navire ô ma mémoire
    Avons-nous assez navigué
    Dans une onde mauvaise à boire
    Avons-nous assez divagué
    De la belle aube au triste soir

  2. Marie-Hélène Fauveau dit :

    Merci

  3. anne chantal mantel dit :

    Mille mercis de nous remettre en mémoire ce poéme, Ophélia, que j’avais essayé d’apprendre par coeur, du temps de ma jeunesse folle !

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