Une femme disparaît

« Seules les bêtes », est en réalité le titre du film de Dominik Moll sorti sur les écrans le 4 décembre. Et ce titre gardera tout son mystère et toute sa beauté. Contrairement à celui de la disparue qui sera résolu, mais par des chemins pour le moins inattendus. L’allusion au maître du suspense, Alfred Hitchcock, vient spontanément, mais au cours du film on pense aussi à « Mais qui a tué Harry ? », pour la balade du cadavre, car celui-ci va faire du chemin, avant de disparaître définitivement. Ce qui nous renvoie au film ayant fait connaître Dominik Moll en 2000, « Harry, un ami qui vous veut du bien », tourné dans la solitude des monts du Cantal. Cette fois ci l’intrigue se déplace à l’est, sur le causse Méjean, en Lozère, et beaucoup plus au sud, à Abidjan, en Afrique.

Entrée en matière tortueuse ? Mais c’est pour parler du film le plus retors apparu ces derniers temps. Car pour savoir ce qui est arrivé à Evelyne, il faudra prendre le temps de voir se rejouer la scène à travers les récits des différents protagonistes. En effet, on n’est pas dans une série policière bien linéaire et bien fléchée. Pas de gyrophares, pas de rubalise, pas de flics nerveux et forcément sagaces, pas de cosmonautes afférés autour de la voiture abandonnée de la victime. Mais pour mener l’enquête, un seul gendarme, jeune homme très doux, qui doit affronter le refus de coopération des Caussenards. Car ces derniers, enfermés dans la logique d’un isolement aussi géographique que psychique, ont tous joué leur rôle, mais en solo, et en assumeront les conséquences de la même manière. C’est donc par le biais de leurs histoires que se structure le film, en chapitres bien distincts, qui tous dévoilent des éléments de l’enquête mais apportent de nouvelles zones d’ombre.

Le premier chapitre donne le point de vue d’Alice (Laure Calamy), assistante sociale, lumineuse et généreuse, et la seule qui assure un lien d’humanité entre les habitants. Elle rend visite à Joseph (Damien Bonnard, ci-contre), un paysan taiseux dont elle a fait son amant (peu enthousiaste) et rentre chez elle retrouver Michel son mari (Denis Ménochet ci-dessus), coincé devant son ordinateur qu’il a installé au fond de l’étable, occupé à une comptabilité qu’on devine compliquée. Ce n’est pas le sujet, puisqu’on ne la reverra pas beaucoup, mais entre ces deux rustres, on la plaint ! Entre temps, elle a découvert la voiture abandonnée. Vient ensuite le récit de Joseph, sans doute le plus glaçant, qui nous raconte une partie des faits dans lesquels il intervient, mais en acteur quasi indépendant, s’insérant dans la narration uniquement pour écrire sa propre histoire. Puis, départ pour Sète, où apparait Marion (Nadia Tereszkiewicz), jeune serveuse qui rencontre Evelyne (Valeria bruni-Tedeschi), en tombe amoureuse et vient la rejoindre dans un camping au pied du Causse. C’est dans cette troisième partie qu’on fait connaissance avec la victime, encore vivante, en quinqua un peu paumée et seule des protagonistes à appartenir à une classe sociale plus favorisée.

Puis, direction Abidjan, qu’on avait entrevu en prologue, suivant un homme délivrant une chèvre à quelqu’un. Là, on fait la connaissance d’Armand (Guy-Roger « Bibisse » N’Drin), sympathique jeune homme, bien décidé à gagner de l’argent rapidement en exerçant la coupable activité de « brouteur », c’est-à-dire de cyber-escroc. On découvre en passant que cette activité est plutôt bien organisée. Ce chapitre ivoirien nous permet de suivre le quotidien de jeunes gens pressés de s’enrichir mais pour mieux dilapider leurs gains dans des fêtes gigantesques. Très loin de la patiente économie de nos Lozériens. D’un côté une misère festive au soleil, de l’autre une vie âpre dans la neige et le froid. Mais « grâce » à Internet, toutes ces vies si éloignées vont se rejoindre. Armand, sous un nom de jeune fille et par le biais de photos aguichantes, séduit Michel alias Zorro, sur un site de rencontre (tu parles, la compta !) et leurs dialogues de plus en plus passionnés (et onéreux pour Zorro) sont à l’origine des moments le plus drôles du film, et plus…

Si vous voulez savoir qui a tué Evelyne, allez voir le film ! Son intérêt est davantage dans la mécanique parfaitement mise en place, avec digressions, leurres et fausses pistes et surtout dans la série de portraits, magnifiquement interprétés, de solitaires assez désespérés pour se raccrocher à n’importe quelle chimère, pourvu qu’elle fasse miroiter une autre vie y compris dans l’au-delà. Si le film est l’adaptation du livre éponyme de Colin Niel (pas lu, NDLR), il renvoie à ceux de Franck Bouysse qui excelle à dépeindre des personnages enferrés dans des carcans de solitude au sein de paysages immenses. C’est le cas de ces femmes et de ces hommes repliés sur eux-mêmes sous le ciel infini du causse Méjean, et pour qui l’échappée numérique ne pourrait bien être qu’un piège. Dominik Moll suggère que le recours à l’anonymat d’Internet ou aux superstitions conduit aux mêmes impasses. Et, sans oublier les rapports de classe, montre que finalement, pauvre en France ou en Afrique, la solidarité et le respect de l’autre offrent bien plus de solutions. Reste un polar, bien ficelé, bien joué, et surtout plein d’humanité.

Marie-Françoise Laborde

Les livres de Franck Bouysse sont publiés, pour l’essentiel, à la Manufacture des livres et en Livre de Poche.

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2 réponses à Une femme disparaît

  1. Catherine Boccaccio dit :

    Merci pour cette critique très alléchante. Nous mettons ce film à notre programme.

  2. Marie-Helene Fauveau dit :

    merci pour cette critique à suspens (euh ça s’écrit comme ça ?)
    pensez-vous que ce film puisse être montré à des « ados » de 15 ans ?
    bien à vous

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