La poésie dans le secret des atomes

Est-ce qu’il pensait déjà à cet ouvrage lorsqu’il décida de devenir éditeur ? On serait enclin à le penser. Le « Système poétique des éléments » que Dominique Tourte (éditions Invenit) vient de publier est le résultat d’une sorte d’utopie qu’il portait en lui sans doute depuis longtemps. L’entreprise n’est pas mince. Elle vise ni plus ni moins qu’à réenchanter le monde, le poétiser, jusque dans les domaines où on s’y attend le moins. La raison – ou le prétexte : les 150 ans du Tableau périodique des éléments chimiques, conçu par le Russe Dmitri Mendeleiev (1834-1907). Véritable génie, Mendeleiev avait notamment anticipé les découvertes postérieures en laissant quelques cases de son tableau vides, réservant aux futurs découvreurs le soin de les remplir. L’Unesco décida de faire de 2019 l’Année internationale de ce tableau.

Cet anniversaire fournissait une occasion idéale. Pour dévoiler la dimension poétique d’un tableau hautement scientifique, l’éditeur se référa à un écrivain hors du commun, l’Allemand Novalis (1772-1801) à la fois romancier, philosophe, géologue, minéraliste (ingénieur des Mines) et forcément romantique. Malgré la brièveté de sa vie, Novalis a laissé une œuvre multiforme et fulgurante où se croisent, plutôt qu’elles ne cohabitent, les connaissances littéraires, philosophiques et scientifiques. « Les sciences doivent toutes être poétisées » déclarait-il à l’un de ses correspondants. C’est donc sous ce précieux patronage que fut créé le « Laboratoire Novalis ». avec comme profession de foi : « Pour un réenchantement du monde physique ».

Ce laboratoire de recherches chimico-poétiques  réunit 118 poètes ou poétesses – 118 comme le nombre des éléments du fameux tableau. À charge pour chacun d’entre eux de produire un texte littéraire illustrant l’élément qui lui est attribué. Venus d’horizons très divers, la plupart de ces écrivains n’avaient qu’une connaissance parcellaire ou lointaine de la réalité des sciences physiques. Mais le nom même des éléments est déjà en soi une invitation à la rêverie. Qui dira le pouvoir d’évocation poétique du Scandium, du Tungstène ou du Lanthane ? Qui dévoilera la vie secrète de ces Lanthanides auxquels l’autre nom de “Terres rares“ apporte un parfum de préciosité ? Qui portera secours au Nihonium classé parmi les métaux pauvres ? Qui prendra le parti de l’Antimoine ?

Chaque membre du laboratoire Novalis a ainsi, à sa façon, selon son style, utilisant son propre système de correspondances, participé à la création, ou la révélation d’un monde parallèle, comme une épiphanie. Il en résulte un étonnant patchwork témoignant de la diversité et de la vitalité de la création poétique actuelle. Certains sont de véritables calligrammes, d’autres reposent sur le jeu des mots, d’autres encore font appel à la métaphysique. Impossible d’isoler un texte : ce serait au détriment de l’ensemble. Ajoutons que les musiciens du duo Kairos ont, de façon subtile et complexe, tenté de retrouver les correspondances musicales à la recherche, comme les philosophes grecs, du chant des atomes.

Un tel ouvrage aurait enchanté le philosophe Gaston Bachelard dont toute l’œuvre se partagea entre une philosophie rigoureuse des sciences et une analyse sensitive de la poésie. Elle aurait séduit le poète et romancier Raymond Queneau. Mais nul besoin de se référer à ces glorieux aînés.

Il suffit de relire le manifeste du laboratoire Novalis : «Considérant que nous nous sommes rassemblés pour œuvrer à la réunification de la science et de la poésie; considérant que nous tenons le jeune baron Georg Philipp Friedrich von Hardenberg, autrement appelé Novalis, pour l’un de nos plus éminents prédécesseurs; considérant que nous n’aspirons à rien d’autre par notre recherche qu’à réenchanter le monde physique; considérant que nous n’attendons pas d’autre profit résultant de notre engagement consenti que celui de l’esprit, des yeux et du cœur …»

Il n’est pas interdit d’afficher ces quelques phrases à l’entrée de son appartement.

 

Gérard Goutierre

Le système poétique des éléments, 312 pages. Éditions Invenit, 2019. 35 euros
www.invenit.fr

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4 réponses à La poésie dans le secret des atomes

  1. ella dit :

    Je n’ai jamais vraiment compris ce travail de Mendeleïev…la poésie sera certainement un bel éclairage merci de votre message !

  2. Didier dit :

    Bravo pour cette recension .
    Merci Didier Nectoux.
    Novalis pas facile mais Bachelard oui.
    Retournons à Mines Paris Tech visiter
    le Musée de Minéralogie

  3. Carole Guinard dit :

    Voilà une belle initiative que celle du Laboratoire Novalis, qui semble, après des siècles de spécialisation scientifique et de séparation, voire de divorce, entre l’art et la science, les sciences humaines (dites « molles ») et les sciences techniques (dites « dures »), renouer avec l’esprit de la Renaissance, quand la frontière n’était pas si marquée entre philosophie et science, chimie et alchimie… Une époque dont l’un des plus brillants représentants est Léonard de Vinci, avide de tous les savoirs, peinture, sculpture, médecine, architecture, machines… Si cet artiste de génie – ou bricoleur touche-à-tout ? – est si à la mode aujourd’hui, n’est-ce-pas justement parce qu’il nous rend nostalgique de ces temps où les domaines du savoir étaient moins compartimentés ?
    Merci à l’auteur de l’article de mettre en lumière cette expérience chimico-poétique, et même musicale. Elle aurait également plu à Boris Vian (ingénieur, musicien, écrivain…)
    Voilà un ouvrage à mettre dans les mains de tous les professeurs de chimie (les miens, dommage, n’ont pas su faire entrevoir à la littéraire que j’étais la beauté du Gadolinium ni les charmes du Copernicium, des noms, pourtant, propices à la rêverie…)

  4. Arkia Elbaz dit :

    Je veux bien prendre l’antimoine, majeure partie du Khol, avec d’autres composantes, connu comme médicament et maquillage pour les yeux depuis des millénaires.
    Merci GG

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