Cure de contemporains

Comme chaque année à la même saison, Radio France nous a proposé son festival « Présences », le trentième, un shoot à haute dose de musique contemporaine ramassé sur un petit peu plus d’une semaine, du 7 au 16 février. L’occasion pour les fans de se délecter, et pour les autres, sait-on jamais, de faire quelque découverte. Quant à moi, je me situe plutôt dans le second camp.
Mercredi 12 février, sur la scène du bel auditorium aux chaudes couleurs rougeoyantes, l’Orchestre National de France était déployé au grand complet et même plus. Je crois que je ne l’avais jamais vu aussi pléthorique, sauf peut-être pour la « Symphonie des Mille » de Mahler avec le chœur en plus.

J’avais comme voisin un jeune enthousiaste qui battait la mesure et applaudit à tout rompre le premier morceau, « Sudden time », quinze minutes environ, signé du héros du festival, l’Anglais George Benjamin (formé notamment auprès de Messiaen).
Bien entendu, l’invité en chef du festival est monté sur l’estrade après cette exécution, ses cheveux blancs attestant de sa soixantaine et de sa célébrité, car il est très connu parmi ce monde assez étrange des fans de musique contemporaine.
À l’entracte, le jeune enthousiaste m’a montré sa partition du morceau, étrangement vide par endroit quand on compare à une partition classique. Puis m’a expliqué qu’il était étudiant, rêvait de devenir maestro, et faisait un stage à Radio France lui ayant permis de suivre les répétitions de ce soir. Il en avait fallu trois à cause du morceau de Boulez, qui viendrait en dernier. Mais sa mère, à ses côtés, lui répétait l’adage bien connu « Passe ton bac d’abord. »

Ce premier mets de quinze minutes m’a semblé un peu court pour m’imprégner de l’univers de Benjamin, d’ailleurs n’est-ce pas un réflexe de mélomane classique de vouloir s’imprégner d’un univers quand il s’agit de musique dite contemporaine ?
J’avais à peine eu le temps de me poser la question que le National, dirigé par Pascal Rophé, un spécialiste du genre, attaquait le second morceau, « Litanies pour violoncelle et orchestre » de Julian Anderson, même nationalité que George et sept ans plus jeune. L’orchestre s’était réduit, et il était indiqué sur le programme « commande de Radio France et du City of Birmingham Symphony Orchestra, création mondiale ».
Il y a toujours une sorte d’électricité dans la salle lors d’une création mondiale, et nos yeux étaient fixés sur le violoncelliste au premier plan, juste à gauche du chef.
Peu à peu, je remarquais que ce violoncelliste jouait sans partition, ce qui semblait tout à fait étonnant pour une « création mondiale ». L’homme, nommé Alban Gerhardt, faisait preuve d’une belle autorité, et j’appris à l’entracte, par une spectatrice, qu’il s’agissait d’un membre de la Philharmonie de Berlin, autant dire un crack.
D’ailleurs il était le dédicataire de ces litanies avec violoncelle, et visiblement et auditivement, Mister Anderson lui avait communiqué son œuvre avant ce soir. D’ailleurs lui aussi vint faire son petit tour de piste, mais heureusement, pas plus que son prédécesseur, ne fit le moindre discours, se contentant de courber la tête sous les applaudissements sans même sourire.
Je dis heureusement, parce que j’ai remarqué que les compositeurs contemporains ont tendance à venir expliquer leur œuvre en préambule à la foule ignorante que nous sommes, ce qui, selon moi, ne nous éclaire nullement. Par contre, les compositeurs s’exprimaient dans le programme très fourni de Radio France, ce qui était parfait.

Après l’entracte, autre création mondiale, un charmant duo de clarinettes, pas plus de six minutes, les deux instrumentistes ne cessant de dialoguer durant ce divertissement nommé « Twin tweets », signé par le Japonais Dai Fujikura. Cet élève de George Benjamin se montra très heureux de recevoir des applaudissements nourris. Dans le programme, il précise qu’il n’admire pas spécialement le chant des oiseaux mais leur vol, ajoutant « Si, comme les oiseaux nous étions libres et que nous nous complétions les uns et les autres, le monde serait un endroit plus paisible ». Certes.
Puis vint Boulez, notre grand Pierre Boulez (1925-2016), qui a regretté tout au long de sa vie d’être mieux apprécié et célébré en Allemagne qu’en France. Mais il a pu tout de même créer chez nous son IRCAM (Institut de recherche et de coordination acoustique/musique, 1974)) toujours en activité, et c’est sur son insistance à voir Paris dotée d’une salle symphonique de dimensions internationales que la Philharmonie de Paris a finalement vu le jour.
Mon jeune voisin battait donc abruptement la mesure à l’unisson de maestro Rophé, tandis que les « Figures, doubles et prismes » bouléziens se déroulaient pendant quelque vingt minutes. Eh bien à mon propre étonnement, je dois dire que ce soir-là, ce fut Boulez qui me charma le plus par son art de nous surprendre à tout moment par d’incessantes trouvailles instrumentales.

Si l’on n’a pas assisté au très fourni trentième festival « Présences » de Radio France, on peut se consoler notamment avec les nombreux CD et DVD de l’invité numéro un, en particulier son grand œuvre, l’opéra « Written on skin » (Écrit sur peau), commande du Festival international d’opéra d’Aix-en-Provence en 2012.
Secondé par son complice le dramaturge anglais Martin Crimp comme librettiste, George Benjamin a puisé son inspiration dans une légende occitane du XIIème siècle (celle du « cœur mangé »), alternant chanter-parler et accents musicaux de plus en plus virulents, exprimant selon lui la splendeur des couleurs des enluminures vous éclatant au visage.

Le DVD de cet opéra agissant comme un envoûtement est une captation du Royal Opera House de Londres (voir photo) avec la même distribution qu’à Aix, incluant parmi les trois solistes vedettes la seule et unique soprano canadienne Barbara Hannigan, grande interprète de la « Lulu » de Berg et autres opus modernes, à l’art sans égal de s’investir aussi physiquement que dramatiquement et vocalement dans ses rôles.
Elle était programmée dans le cadre du festival Présences à la Philharmonie de Paris pour reprendre le 14 février, avec le Philharmonique sous la direction du compositeur, le rôle d’Agnès (la femme du Protecteur qui lui donne à manger le cœur de son amant, le Garçon réalisant le livre d’enluminures écrit sur « peau » ou parchemin, comme au Moyen Âge.)
Barbara a dû renoncer à cette représentation pour raisons familiales, mais comme elle est en résidence cette année à la Maison ronde, nous aurons d’autres occasions
de retrouver, à la fois comme chanteuse et comme chef d’orchestre, sa longue silhouette, ses longs bras de danseuse, et sa longue chevelure blond roux.

Lise Bloch-Morhange

Auditorium de Radio France, Philhar intime, 23 février, « Hommage à T.S.Eliot » de Goubaïdoulina et « Octuor » de Schubert, soprano Barbara Hannigan

Philharmonie de Paris, Philharmonique de Radio France, 27 mars, « Requiem » de Mozart, Barbara Hannigan soprano et direction www.maisondelaradio.fr

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