La caméra en liberté de Milos Forman

Il a passé sa vie à chercher le bonheur et quand il l’a trouvé il s’est rendu compte que le meilleur moment était celui où il courait après. Il n’avait pas réussi à identifier le sens de l’existence mais il avait réalisé plus tard que ce qui comptait, c’était qu’elle en ait un. Pour la liberté enfin, il en était arrivé au terme de sa vie à conclure qu’au fond, lorsque l’on pouvait douter haut et fort de cette chimère c’est qu’on était libre. Milos Forman, qui avait d’abord tâté dans sa jeunesse de la « dictature communiste » en Tchécoslovaquie, n’avait cessé tout au long de sa filmographie, de démontrer l’importance de la liberté intérieure et de mettre en avant des personnages conduits vers la rébellion, l’émancipation. Arte nous offre jusqu’au 8 juin le visionnage sans temps mort d’un documentaire signé Helena Trestikova et Jakub Hejna, sur l’auteur génial de « Vol au-dessus d’un nid de coucous » (1975), disparu en 2018.

Le portrait de cet homme né en 1932 comporte de nombreux extraits de ses films dont justement, « Vol au-dessus d’un nid de coucous ». On apprend qu’on lui avait transmis le livre éponyme de Ken Kesey et qu’il avait été immédiatement emballé par l’histoire d’un homme réfractaire au règlement passéiste, barbare et contraignant d’un hôpital psychiatrique américain. Un sujet qui avait déjà été l’objet d’une pièce de théâtre jouée à Broadway en 1963. Dans ce film, R. P. McMurphy (Jack Nicholson) affronte Mrs Ratched, une infirmière en chef dont la rigidité faussement aimable exaspère le premier des protagonistes. Comme il est plus intelligent qu’elle, il va réussir à introduire la liberté dans cet espace d’internement. R. P. McMurphy, va expliquer aux autres patients qu’il y a mille moyens de contourner l’autorité pour peu que l’on réfléchisse et que l’on comprenne comment dévoyer un univers carcéral avec la dérision comme seul instrument. Ce pourquoi l’autorité hospitalière décidera de lui trancher par lobotomie la capacité définitive de penser.

Le jeune Milos Forman perd très vite ses parents lesquels ne devaient pas revenir des camps de concentration. Il nous raconte sa vie de jeune pensionnaire dans une école de Prague  où il fera la connaissance de Václav Havel appelé plus tard  à devenir chef d’État. Il rate son entrée dans une académie de théâtre et se rabat sur l’apprentissage du cinéma. Lorsqu’il s’achète sa première caméra 16 millimètres, il ressent pour la première fois cette sensation de liberté qui pilotera à la fois sa vie et ses films. Il ne quittera plus jamais cette tendance visant à se démarquer des normes, notamment avec « Les amours d’une blonde », son deuxième film qu’il réalisera en 1965. Une histoire  dit-il, qui offre un contraste saisissant à l’égard des tournages de propagande de l’époque dont l’aspect artificiel et démoralisant ne pouvaient que stimuler l’inspiration d’un homme comme lui. Né libre, Milos Forman n’aurait peut-être pas été le Milos Forman auteur de « Hair » ou de « Amadeus ». La contrainte et la frustration ont constitué, de tout temps, le bon substrat créatif pour qui voulait s’en abstraire et finalement s’en moquer. C’est ainsi que Milos Forman, mine de rien, diffusera sans cesse un message conseillant aux gens d’imposer des limites aux importuns, de ne pas se laisser marcher sur les pieds et de ne pas prendre forcément l’ordre établi pour argent comptant.

Quand on lui propose dans les années quatre-vingt-dix de s’intéresser au personnage de Larry Flynt, il ne peut que, là encore, s’enthousiasmer pour en faire un film. Larry Flynt est celui qui a lancé aux États-Unis, le magazine pornographique « Hustler ». Il s’agit d’un homme disons immoral, pratiquant la provocation à l’égard des institutions et des ligues de vertus. Mais qui s’entête à faire ce qu’il veut, notamment en dénonçant les conséquences dramatiques des guerres. Son séjour en prison ne le fera pas changer d’avis. Au point que son avocat ayant plaidé auprès de la Cour Suprême, finira par obtenir pour son client, la reconnaissance de la liberté d’expression inscrite dans la constitution américaine.

Une fois encore, Milos Forman a braqué sa caméra sur ceux qui s’érigent contre un système dominant. C’est de cette façon également qu’il finit par comprendre que la liberté est une notion toute relative. Il n’est certes pas le seul réalisateur à s’intéresser aux rebelles. On peut ainsi penser à « Guet-apens », le film de Sam Peckinpah (1972) dans lequel Doc McCoy (Steve McQueen ) réussit à dégommer tout ce qui l’empêche de respirer et de mener sa vie à bien. Peut-être, dans un autre genre,  Milos Forman a-t-il eu la possibilité de visionner « Snowden » réalisé par Oliver Stone, celui-là même qui lui avait suggéré le projet de Larry Flynt. Cet Edward Snowden (1) qui avait dénoncé le système dément de surveillance planétaire mis au point les États Unis dans l’après 11 septembre. En avril dernier, il mettait d’ailleurs en garde l’opinion à l’égard des gouvernements utilisant le coronavirus pour construire une “architecture d’oppression”. En matière de libertés publiques, on ne peut nier qu’il disposait de quelques éléments pour en parler de façon crédible. Milos Forman était, de par son histoire, dans le même cas.

Avec sa caméra il avait pris la défense de la liberté, la sienne et celle des autres. Au contraire de ceux qui en font un instrument de surveillance au sol comme au ciel.

PHB

(1) Snowden sur Les Soirées de Paris

« Milos Forman, une vie libre » sur Arte et jusqu’au 8 juin

Les images d’illustration sont extraites du film
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Une réponse à La caméra en liberté de Milos Forman

  1. raquel coca dit :

    Formidable article, impossible de ne pas voir les liaisons avec cette époque qui nous vivons maintenant. Un exemple à suivre.

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