A distance dans le métro de Tokyo

Les Parisiens retrouvent l’usage des transports en commun. Désormais ils les empruntent visages masqués et gestes barrières à l’appui. Parmi ces gestes, la distance sociale que beaucoup ont du mal à respecter. Au Japon, elle a toujours été une marque de la culture, même dans le métro.
La distanciation sociale incite les Japonais à ne pas s’immiscer dans la sphère des autres pour ne pas entraver leur bien-être. Et ce qui est vrai dans la vie de tous les jours, l’est aussi dans le métro. Chacun dans sa bulle. On ne parle pas dans une rame, c’est très mal vu. On ne répond pas si son portable sonne. D’ailleurs, il ne sonne pas, il est sur silencieux. Et on revêt un masque dès les premiers signes de rhume ou d’épidémie pour éviter de contaminer les autres mais aussi parce que – responsabilité collective oblige – un comportement individuel mal maîtrisé, comme un éternuement, peut être dommageable pour toute l’économie.

Ce sens du respect de l’autre et de la responsabilité collective est vital dans une mégapole de 14 millions d’habitants. Car Tokyo c’est le bruit et la fureur. Une ville qui vibre, palpite, éructe. La foule y bat la chamade à toute heure du jour. Elle pulse pour inonder les trottoirs et se rétracte aussi sec pour monter dans les métros et trains bondés. Rien de tel pour se mettre dans le tempo de Tokyo que le métro. Et tant qu’à faire autant choisir la difficulté : la station Shinjuku, en plein cœur de Tokyo, aux heures de pointe. Shinjuku est le plus grand échangeur de la ville mais surtout, le plus grand complexe ferroviaire urbain du monde ! Ce centre névralgique voit passer plus de 3 millions d’usagers chaque jour. À titre de comparaison, pour toute l’île de France, le nombre d’usagers des transports en commun est de 4 millions par jour. À Shinjuku, myriades de lignes de train et de métro convergent, reliées entre elles par des passerelles, des bretelles, des escalators impressionnants et des kilomètres de couloirs, le tout sur plusieurs étages. Une ville sous la ville. Boutiques, cafés et restaurants bordent les couloirs comme s’il s’agissait des rues d’une cité souterraine.

Même si la signalétique est extrêmement précise, il est difficile pour un étranger de ne pas se perdre dans cette jungle bétonnée. Aux heures de pointe, c’est vraiment impressionnant de voir tous ces passages et corridors assaillis de toutes parts par des milliers de personnes qui avancent droit devant eux sur des distances insensées. Si vous voyez une personne se livrer à un gymkana dans la densité de la grappe humaine en transit, il est fort à parier que ce soit un étranger. Qui d’autre serait assez indiscipliné pour ne pas suivre le sens de la marche – à gauche comme pour les voitures – et se faire blackbouler en tous sens.

Pour compliquer encore les choses, les lignes de transport sont gérées par sept compagnies différentes, chacune ayant ses propres tarifs, ses propres voies et …ses propres stations. Il y aurait ainsi plus de 100 entrées possibles pour la station Shinjuku. Bref, chaque fois qu’on a une connexion à faire, il faut quitter la ligne sur laquelle on se trouve et payer son trajet. Puis, il faut trouver l’entrée de la station Shinjuku de la correspondance. Ce qui n’est pas une mince affaire car non seulement le choix est multiple mais de plus, la station n’est pas forcément à côté. Il arrive qu’on ait à sortir de la gare et à emprunter les rues de Tokyo avant de retourner sous terre prendre le métro à une bouche qui peut ressembler à une entrée d’immeuble.

Les transports en commun sont d’une efficacité inexpugnable et la ponctualité des trains et métros est absolument remarquable. Vu l’intensité du trafic, tout retard ou dysfonctionnement peut immobiliser plusieurs centaines de milliers d’usagers. La synchronisation des transports est d’une électronique hautement sophistiquée. Comment peut-il en être autrement ? On ahurit à regarder le plan de métro de Tokyo auquel il faut superposer le plan des lignes de train, tout aussi nombreuses, qui n’y figurent pas.
Quant aux usagers, leur discipline n’est pas moins remarquable. Soigneusement alignés en deux files indiennes suivant les marquages au sol, ils s’écartent docilement pour laisser descendre les passagers et attendent patiemment leur tour sur les quais bondés en respectant une distance sociale. Ici ni bousculade ni injures. D’ailleurs, comme l’avait constaté Pierre Loti : « Dans la langue de ce peuple poli, les injures manquent complètement » (in « Mme Chrysanthème »).

À l’approche des trains, un chef de quai en costume avec képi et gants blancs, balaie le sol avec une lampe de poche pour que les gens s’éloignent des rails. C’est lui aussi qui donne le signal à l’aide d’un sifflet. Ce mode de signalisation humain qui peut sembler désuet apporte une note poétique à ce complexe intermodal diabolique.

Lottie Brickert

Plan du métro de Tokyo en japonais

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7 réponses à A distance dans le métro de Tokyo

  1. Raymond dit :

    Un rêve : que le virus « du sens du respect de l’autre et de la responsabilité collective » contamine les usagers des transports collectifs d’Ile-de-France…
    Merci Lottie de nous avoir montré qu’ailleurs il est devenu réalité

  2. Bruno Sillard dit :

    Tu ne te rends pas compte, à peine arrivé, tu nous jettes dans le métro de Tokyo, je ne sais même pas comment on fait pour acheter les billets. Demander son chemin au type en gants blancs celui qui contient son troupeau, avec une lampe poche ? Cela dit j’adore ce genre de papier.

    • lottie dit :

      Non, non, je vous rassure Bruno, acheter des billets n’est pas si compliqué que le papier pourrait le laisser penser. Il existe même des cartes rechargeables qui permettent de pré-payer les trajets et pour les différentes compagnies.
      Et comme à Paris, il suffit d’éviter les heures de pointe !

  3. Jean-Marc dit :

    En vingt ans de vélo à Paris je n’ai pris que rarement le métro, mais là, j’irais bien tenter l’expérience !
    Merci encore Lottie, je nous faire sortir de terre toutes ces curiosités insoupçonnables !

  4. thierry dit :

    hyper-ponctuel, des passagers qui respectent scrupuleusement les distances sociales… et en plus, j’en suis sûr, parfaitement propre ?!!!…. je pars m’installer au Japon.

  5. bruneau dit :

    merci Lottie pour cet article me rappelant ce Tokyo métronome parfaitement réglé.

  6. Deregnieaux dit :

    Merci Lottie de nous rappeler cet art du respect qui pourrait nous parvenir du soleil levant .

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