Poésie omnibus

On le nomme Paterson, il habite Paterson dans le New Jersey et sur le fronton du bus qu’il conduit tous les jours, il y a marqué Paterson. C’est ainsi que Jim Jarmusch ne pouvait faire autrement que titrer son film « Paterson » (2015), celui que Arte nous offre en rediffusion jusqu’au 7 juin. Et en plus l’acteur qui joue le chauffeur s’appelle Adam Driver. C’est le héros principal au côté de Golshifteh Farahani, la franco-iranienne qui n’a pas son pareil, la plupart du temps, pour flairer les bons coups cinématographiques. De toute la filmographie de Jarmusch, ce doit être le plus épuré, le plus minimaliste, il n’y pas pratiquement pas d’action, pas de dialogues qui font mouche et un suspense infime.

Sur près de deux heures, « Paterson » nous livre l’histoire de Paterson qui se distingue des autres chauffeurs de la ville en couchant sur son note-book des poèmes encore plus plats qu’un haïku mais non dépourvus d’intérêt de par leur extrême simplicité. Ainsi écrit-il par exemple: « Je traverse des milliards de molécules qui s’écartent pour me laisser passer/Alors que de chaque côté/Des milliards d’autres restent là où elles sont/. » Pas de quoi tomber à la renverse mais allez savoir pourquoi, cela fonctionne, de même lorsqu’il fait l’éloge de la marque d’allumettes « Ohio Blue  Tip Matches ».

Chaque jour ouvrable à l’aube, Paterson consulte sa montre, embrasse sa femme qui dort encore et se rend au dépôt de bus. Une fois installé à son poste de conduite, il écrit un poème jusqu’à ce qu’un dispatcheur croulant sous des soucis variés, lui donne l’ordre de départ. Et le voilà parti dans la ville au volant de son omnibus quêtant à la volée les dialogues ordinaires de ses passagers. Quand il rentre le soir, il remet d’aplomb sa boîte aux lettres aux lettres branlante, emmène son chien Marvin qu’il laisse stationner dehors tandis qu’il va boire un verre dans son bar exclusif.

Il se passe très peu de choses dans cette sorte de semainier cinématographique. Si bien que notre tension monte anormalement lorsque Jarmusch installe un suspense pourtant proche du point zéro. D’abord quand Laura sa femme lui demande instamment de faire des photocopies de ses poèmes, on se prend effectivement à s’inquiéter de la suite qu’il promet d’y donner, tellement l’homme est placide. Et d’autre part lorsque une voiture emplie de jeunes branchés lui fait remarquer que son chien a de la valeur et qu’il pourrait bien se faire enlever. Nous spectateurs prenons ces deux seuls éléments comme viatiques qui nous porteront jusqu’à la fin du film. Paterson arrivera-t-il à juguler le danger qui guette et ses œuvres et son chien, il va nous falloir composer avec cette double angoisse.

Jarmusch étant Jarmusch, c’est à dire pas n’importe qui, mais au contraire un réalisateur qui force notre curiosité depuis au moins 1984 avec son très original « Stranger than paradise ». Le film qui nous intéresse aujourd’hui se situe par son traitement entre « Only lovers left alive » (une déconcertante histoire de rockers et de vampires) et « The dead don’t die » qui met en scène de façon burlesque des morts-vivants dont un qui ne manque pas de réclamer son verre de chardonnay une fois ressuscité (1).

« Paterson » se rapproche davantage de « Mistery train » (1989) par son esthétisme assumé des jours tranquilles. Dans « Mistery train » il y avait quelques histoires de fantômes pour susciter notre étonnement. Alors que dans « Paterson », la normalité est ultra-dominante. Là où Jarmusch est quand même assez fort, c’est qu’il réussit à faire de son film un long métrage poétique et pas seulement parce que son personnage compose avant de prendre le volant de son omnibus. Il fait ici la démonstration que même une vie banale, routinière, peut être une voie poétique pour peu que l’on sache en prendre conscience. Même si le point de départ de l’écriture n’est qu’une simple boîte d’allumettes. Il faut savoir y voir, c’est que nous dit en substance le héros de l’histoire. La baguette magique de Jarmusch fonctionne toujours et comme d’habitude, rarement où on l’attend.

PHB

(1) À propos de « The dead don’t die »

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Une réponse à Poésie omnibus

  1. Michèle PUYSERVER dit :

    Bonsoir,
    Vous avez raison de recommander ce film, plein de charme ,de douceur et de fantaisie dans ce monde de brutes « à la Trump ».J’ai passé un excellent moment en salle lors de sa sortie , et j’espère que vous serez nombreux à le voir sur le petit écran!

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