Le Frac Île-de-France change de dimension mais…

C’est un de ces coins industriels en perdition que viennent plus ou moins sauver des espaces d’arts, dont la dernière extension du Fonds régional d’art contemporain d’Île-de-France. Le Frac disposait déjà d’un espace à Rentilly (77) et d’un autre dans le 19e arrondissement de Paris. La nouvelle structure, située à Romainville (93) et toujours financée sur fonds publics, trouvera là de quoi stocker ses collections et exposer à l’occasion. Elle sera inaugurée fin novembre concomitamment au lancement d’une nouvelle exposition déployée sur les trois sites dont une « interdite aux plus de 18 ans ». Le tout sans contrepartie affichée d’amélioration des programmes et c’est bien là qu’il y a un « mais ».

Les Frac étaient une idée du ministre Jack Lang. L’objectif -louable- était de diffuser le plus largement possible l’art contemporain dans les provinces. Ce qui a donné lieu à d’intéressants  projets, mais, dans quelques cas, il était loisible de constater une certaine perte de contrôle. Nous avons déjà écrit (1) dans les colonnes des Soirées de Paris, la dérive programmatique du site parisien dit Le Plateau, à proximité des Buttes Chaumont. Au départ, le thème et la nature des expositions étaient certes difficiles mais riches et ambitieux. Et cela valait le coup de solliciter plus que d’habitude ses méninges pour en intégrer le sens. Cependant, les expositions ont dérivé vers un hermétisme déconcertant, comme si une direction artistique avait entretemps pris (prudemment) la tangente.

D’aucuns se souviendront d’une superposition d’oranges qui avaient fini par fermenter au point que la médiatrice chargée d’expliquer le propos aux rares visiteurs, avait le visage encerclé de moucherons. Très récemment une œuvre vidéographique était tellement difficile à soutenir du regard qu’une notice mentionnait que le visionnage de l’affaire était déconseillé aux personnes souffrant d’épilepsie. La précaution laissait rêveur s’agissant d’un établissement public. De ce que l’on peut par ailleurs décrypter d’un article publié il y a trois ans dans Télérama (2), il semble que le passage d’une codirection à un chef unique soit quelque peu à l’origine d’un problème qui ne s’arrange pas vraiment.

En 2017, Le Plateau présentait un travail baptisé « Boom boom run run », par l’artiste Pierre Paulin, lequel était censé multiplier « les formes d’apparition (du langage), depuis la poésie, l’essai et la traduction, jusqu’au prêt-à-porter ». Qu’y voyait-on? Des vêtements et des chaussures disséminés dans l’espace, à l’intérieur desquels était cachée une écriture sinon poétique au moins vendue comme chargée de signification (ci-contre). La vacuité générale de l’intention, sa pauvreté conceptuelle, dépassaient la moquerie, trahissaient la névrose introspective. Le plus indulgent des critiques d’art et le plus large d’esprit d’esprit des visiteurs, ne pouvaient qu’afficher sur leur front les plis d’une saine consternation face à cette buanderie dévoyée. Même la mairie de Paris, pourtant assez encline à financer généreusement le tout-venant sans pertinence ni discernement, avait fini par revoir cette année-là, le montant de sa subvention.

Dans une tribune publiée en 2013 dans le Figaro, l’essayiste Luc Ferry n’y était pas allé par quatre chemins en écrivant que les Frac permettaient à des gens « sans art et sans talent » et faute de pouvoir convaincre par eux-mêmes, « d’écouler leur production indigente aux frais du contribuable ». Peut-être poussait-il le bouchon à l’extrême mais du côté du Plateau, passé un bon début, il y avait certainement de plus en plus de questions à se poser sur les choix programmatiques et disons-le tout bonnement, sur la nécessité de respecter le public. Lequel entre gratuitement sans forcément réaliser qu’il a déjà payé.

On ne peut donc qu’espérer un sursaut de la part du Frac Île-de-France qui se targue d’un nouveau projet, celui consistant à laisser des « groupes » ou des « individuels » choisir des œuvres issues des réserves. Elles seront montrées au sein d’espaces dédiés. On comprend qu’il fallait cette fois donner des gages aux financeurs dont la longanimité et la générosité  semblent inexplicablement sans fin. Sans doute devraient-ils et à tout le moins, exiger le retour d’une direction artistique mieux inspirée.

PHB

Expo « Children Power » sur les trois sites du Frac (novembre 2020-Juillet 2021)

(1) Précédent article sur le Frac

(2) L’article de Télérama (2017)

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6 réponses à Le Frac Île-de-France change de dimension mais…

  1. Jacques Ibanès dit :

    Et bien souvent, les pauvretés exposées sont enveloppées de discours abscons qui
    n’impressionnent que les gogos… J’ai souvenance de quelques installations et expositions à mourir de rire. Molière et ses « Précieuses ridicules » pas mort.

  2. Tristan Felix dit :

    Cher Philippe,

    Le phénomène que vous evoquez avec votre mesure et votre élégance coutumières s’est répandu comme lèpre depuis un demi-siècle et suinte par tous les bouts d’un capitalisme conceptuel systémique qui sidère par la hideur, fort de s’approprier et donc de confisquer la création. J’imagine que vous avez lu « Ce qui n’a pas de prix », d’Annie Lebrun, ouvrage, bien que parfois erratique, des plus stimulant. Merci encore pour vos chroniques qui excitent l’esprit, en ces temps d’agenouillement.
    Amitié.
    Tristan Felix

  3. Cher Philippe,

    je ne sais pas si l’on peut s’appuyer sur l’opinion de Luc Ferry, essayiste de droite tendance très conservatrice voire réac.
    LBM

  4. Alain Boutry dit :

    Cet art dit “contemporain » fait plutôt penser à une idéologie. Pistonné par une incongrue coterie de fonctionnaires et de collectionneurs fortunés, assaisonné d’un jargon obscur, il suscite des jugement clairs comme celui de Luc Ferry (quelle importance qu’il soit de droite ? Qu’en serait il s’il était un Huron, un patagon ou un javanais ! Le sectarisme de la bien-pensance se porte bien). On dirait que ces fonctionnaires ont voulu prendre leur revanche sur la période 1850-1950 où ils ont par aveuglement laissé filer à l’étranger nombre d’œuvres essentielles en se transformant depuis 30 ans en “collectionneurs avisés“ et en suiveurs. Ils ont oublié qu’une œuvre se juge avec l’œil et non avec l’oreille.

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