Les oiseaux de mauvais augure volent en escadrille

C’est seulement pour des raisons d’entretien que les statues situées du côté oriental du jardin des Tuileries avient été emballées au mois de juillet dernier. Renseignements pris auprès d’un gardien, le revêtement de plastique permettait de préserver l’action d’un produit de nettoyage. Et c’est ainsi que la belle Cassandre s’était retrouvée rhabillée pour une partie de l’été. Oui Cassandre, dont Apollon était tombé amoureux. En échange d’ébats charnels il lui avait donné le don de divination. Mais, selon la mythologie, comme cette fille de Priam et d’Hécube n’était pas d’accord, Apollon avait décrété qu’elle ne pourrait annoncer que des fake news. Du coup on serait tenté de croire qu’elle avait choisi de ne plus prédire que des mauvaises nouvelles, ce qui est une bonne façon de ne jamais se tromper. Sensuelle, la statue des Tuileries qui la représente est due à Aimé Millet (1819-1891) qui l’a livrée en 1875.

Dans son film « Le Bal des casse-pieds », Yves Robert avait confié à l’humoriste et acteur Guy Bedos le rôle de celui qui voyait toujours l’avenir en noir. C’était en 1992 et le personnage en question prophétisait déjà le fameux réchauffement climatique. Montrant du doigt le court de tennis devant lequel il était assis, il annonçait que sous peu, la température diurne y serait de soixante degrés. Cette année Yves Robert aurait eu cent ans et gageons qu’il n’aurait pas manqué de matière pour écrire un énième épisode de son bal des casse-pieds.

Ni le ministère de la joie distribuée, ni le journal des bonnes nouvelles n’ont jamais existé. Il faut dire que l’an 2020 constitue quand même un cru assez exceptionnel. Si elle avait pu, Cassandre l’aurait facilement prévu, tout en faisant sécher son vernis. Pandémie, confinement, effondrement de l’économie, abstention massive aux municipales occasionnant des résultats erratiques, déluges dévastateurs dans les vallées du sud-est, port du masque généralisé, couvre-feu et sans oublier évidemment, l’horrible décapitation d’un professeur d’histoire qui ne faisait que son travail, il faut bien chercher en cet automne 2020, ce qui pourrait nous donner des raisons de sourire.

Bien heureusement on en croise. Des gens qui, sans jamais se lasser, arrivent à dénicher dans chaque emmerdement, le moyen de s’en moquer. Ils sont tellement précieux et minoritaires qu’il faudrait les dispenser d’impôts. En tout cas, l’ami qui fait rire, on peut toujours l’inviter à déjeuner histoire de soulager l’atmosphère ou d’égayer le deuil s’il est toutefois possible de parler ainsi. Michel Audiard était très bon pour ça. Chacune de ses répliques trouve encore à s’employer dans l’actualité qui nous fait mal. Par exemple dans « Le cave se rebiffe » (1961) on y voit Jean Gabin expliquer à Françoise Rosay qu’il lui enverra quelqu’un pour récupérer du papier destiné à fabriquer des faux florins. « Comment le reconnaîtrais-je », dit-elle.  « Un grand, lui répond-il alors, avec une petite moustache et l’air con ».  Quand on entend effaré les invectives lancées par un certain chef de royaume byzantin, cette citation active avec à propos la mémoire jamais à court des cinéphiles. Une allusion dans le cadre cela va de soi, du droit d’usage toujours en cours de la raillerie, de la métaphore et de l’allégorie. Mais les humoristes comme les Cassandre sont finalement débordés car, comme le conclut Françoise Rosay, « ça court les rues les grands cons ».

Bienheureusement, il y aura donc toujours des gens pour rire et traiter par la dérision les catastrophes en série qui nous entourent. Hélas ceux qui savent dédramatiser une actualité par une bonne blague ne sont pas de cette majorité à qui l’on tend invariablement le micro.

Car en vérité la situation est non seulement mauvaise mais elle va s’aggraver, c’est programmé comme l’extinction humaine et encore on ne vous dit pas tout. Il n’y a qu’à écouter les Cassandre du 20 heures qui s’appliquent à nous le confirmer avec une remarquable constance. De préférence allons retrouver la vraie dulcinée d’Apollon  (ci-contre) enfin débarrassée de son manteau de plastique et cherchant la protection de Pallas. Sa vue nous chassera les idées noires dans l’un des plus beaux jardins de Paris.

 

PHB

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5 réponses à Les oiseaux de mauvais augure volent en escadrille

  1. Catherine dit :

    Merci! Très bien !

  2. philippe person dit :

    Ouais…
    Jouons les grincheux de service : prendre Michel Audiard comme viatique, c’est quand même faire la part belle à l’extrême-droite qui considère, à juste titre hélas, que le petit cycliste était l’un des siens. Si on déboulonne des statues parce que l’original a dit un mot de travers, Audiard devrait être par terre depuis longtemps…
    « les cons » pour lui étaient systématiquement des profs comme celui que vous citez… Je pense d’ailleurs qu’Audiard vivant l’aurait encore affublé de ce vocable pour s’être jeté bêtement dans la gueule du loup…
    J’ai entendu un certain Eric Z dire tout le bien qu’il fallait penser de l’auteur de « Vive la France ». Regardez donc ce film en ligne sur You Tube. Vous serez moins enclin à le trouver drôle.
    L’Audiardisation de la France me fait bien plus peur que le reste… en tout cas ne me fait pas rire, désolé !

  3. DidierD dit :

    Comment le reconnaîtrai-je ?
    Futur
    Comment le reconnaîtrais-je ?
    Conditionnel ?
    Comment le reconnaître ?
    Simplement.

  4. Hélène Delprat dit :

    Que dire? Avant, les cons étaient inoffensifs, ils gardaient leurs conneries pour eux. Maintenant avec la libération de la parole c’est le règne de l’invective et de la censure. Comme dit Philippe Labro :  » être con est devenu un talent, un honneur, un privilège, une idéologie, un droit! ».( J’irais nager dans plus de rivières)

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