Poètes et perruches

Les habitants du quartier d’Auteuil, comme les visiteurs du Jardin botanique des Serres d’Auteuil, connaissent bien le Jardin des Poètes, car l’un mène à l’autre, et réciproquement. D’ailleurs les jardiniers du second sont chargés de l’entretien et embellissement du premier.
Le Jardin des Poètes, assez vallonné, a eu plus de chance que son voisin, car il est classé inconstructible, ce qui l’a sauvé des excavatrices qui ont défoncé les Serres d’Auteuil. Jolie idée que ce Jardin des poètes inauguré en 1954, dédié aux plus connus comme à des moins connus. Quelques beaux arbres et arbustes dispersés sur un hectare et demi, dont un sapin avec ses longues branches basses où s’accrochent les enfants entre deux parties de ballon, deux aires de jeux pour les petits, quelques statues de grands noms comme Hugo (par Rodin), Pouchkine ou Mistral. André Chénier en a eu l’intuition dès le dix-huitième siècle : « Auteuil, lieu favori bien fait pour les poètes, Que de rivaux de gloire unis sous tes berceaux ».
Et tout autour des pelouses, par terre, des stèles adossées à un morceau de roche nous rappelant nos jours anciens : « Mignonne allons voir si la rose… » », « Ô mois des floraisons, mois des métamorphoses … », « Voici venir le temps où, vibrant sur sa tige… », « Mes chers Amis, quand je mourrai… ». On marche lentement, les yeux au sol, déchiffrant des strophes peu connues de noms connus, certaines à demi effacées : « Les roses comme avant palpitent, comme avant Les grands lys orgueilleux se balancent au vent, Chaque alouette qui va et vient m’est connue… » (Verlaine, Poèmes saturniens, Après trois ans) ; « Il faut forcer l’aurore à naître en y croyant » (Jean Richepin) ; « Quand je suis parmi vous, arbres de ces grands bois… » (Victor Hugo) ; « Les tilleuls sentent bon dans les bons jours de juin, … »  (Rimbaud, roman).
Et puis des inconnus accueillis par ces illustres, comme Ernest Fleury (« Viens ! je te dirai des choses si blanches »), ou Vincent Muselli (« Ne prends point de souci des arbres ni des roses … »).
Apollinaire est un peu à l’écart dans son coin, mais pas très loin de la statue du jeune Pouchkine aux belles boucles, et nous adresse son fameux adieu : « J’ai cueilli ce brin de bruyère… ».
On peut revenir cent fois, varier l’itinéraire, se pencher ici et là vers la terre, lire et relire les vers, comme si la compagnie des poètes se renouvelait sans cesse. Et selon la lumière et la saison, on se sent avec eux mélancolique ou joyeux. Ce jardin doit être unique à Paris.

Traversant l’autre jour, comme à mon habitude, d’abord les Serres d’Auteuil puis le Jardin des Poètes, juste au moment où j’allais en sortir pour rejoindre la porte d’Auteuil, quelque chose m’a attiré l’œil, en haut d’un grand sapin : un couple de perruches grapillait allègrement les baies. Des perruches de belle taille, jaune et verte comme les perroquets, et je me suis demandée si elles s’étaient échappées de la grande cage du palmarium voisin. Mais celles de la cage, que je connais bien, sont plus petites, dont des inséparables, rendues célèbres, rappelez-vous, par le début des « Oiseaux », le film de Hitchcock (lorsque Tippi Hedren en achète un couple dans une oisellerie de San Francisco).
Bien sûr, nous sommes maintenant habitués depuis longtemps à voir fleurir en région parisienne ces palmiers acclimatés par la douceur grandissante du climat, et les palmiers ne manquent pas aux Serres d’Auteuil, mais des perruches en liberté ? Je n’avais jamais vu ce spectacle à Paris. Alors s’étaient-elles échappées d’une cage ? Comment allaient-elles survivre ?
Deux cousins germains habitant Nogent m’ont mise sur la piste, en me racontant qu’ils étaient tombés, en bord de Marne, sur un buisson entièrement couvert de perruches se gavant de baies, pépiant de tous côtés. Depuis, en se promenant dans le bois de Vincennes, il leur arrive d’en apercevoir, le spectacle étant devenu courant.

L’invasion des perruches à collier en Ile-de-France est entourée d’un certain mystère.
Il se dit que dans les années 1970, une cinquantaine se seraient échappées d’un conteneur débarquant à Orly, suivies d’une autre cinquantaine vingt ans plus tard, parvenues à s’évader de leur volière entreposée à Roissy.
Mais un reportage de France 3 datant de 2017 évoque une hypothèse plus romantique, celle d’un douanier de Roissy à la retraite : « Dans les années 1990, un vieil homme, résidant à Gonesse (Val-d’Oise), se serait épris de ces animaux exotiques. Il en éleva une dizaine en semi-liberté. À sa mort, les perruches se seraient définitivement envolées. »
Il semblerait aussi que les amateurs se lassent de ces animaux en cage très jacasseurs dont la durée de vie peut atteindre quarante ans, et finissent par leur ouvrir la porte vers la liberté. Je peux en témoigner : quand nous étions petits, mon père était arrivé un jour avec trois paires de couleurs différentes, et je me souviens que peu à peu, nos six perruches se sont volatilisées, je ne sais plus comment.
Mais c’était une espèce plus petite que les perruches à collier ayant envahi les parcs et jardins d’Ile-de-France, ainsi nommées parce que le cou du mâle, sous le bec, est orné d’une ligne circulaire foncée.

Il s’agit bien d’une véritable invasion, puisque qu’elles atteignent une population de quelque 10 000 volatiles, qui préfèrent s’installer à Paris et sa banlieue plutôt qu’à la campagne où les prédateurs sont nombreux. Moi qui m’inquiétais sur le sort de mes deux perruches en liberté, j’apprends que ces immigrées venues de très loin (Asie et Afrique) s’installent confortablement dans les cavités des arbres déjà installées avec tout le confort par les étourneaux et les écureuils. Celles de la région parisienne concentreraient près des deux tiers des perruches à collier de toute la France.

Pour améliorer la connaissance du volatile, précise un article du Parisien du 17 août 2019, le département des Hauts-de-Seine a développé le site Internet perruche-a-collier.fr. Des habitants de toute la France y signalent où et quand ils ont aperçu des perruches pour la dernière fois, alimentant une carte interactive de cette invasion d’un nouveau type.
Autant dire que je vais m’empresser de signaler mes deux volatiles, et de surveiller le cœur battant le sapin où j’ai fait leur connaissance au Jardin des Poètes d’Auteuil. J’imagine que les poètes se réjouissent de ces nouvelles compagnes, et se sentent moins esseulés à l’heure où les visiteurs se retirent.

Lise Bloch-Morhange

Square des Poètes, avenue du Général Sarrail, 75016 Paris

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5 réponses à Poètes et perruches

  1. Yves Brocard dit :

    Bonjour,
    Il y a beaucoup de ces perruches dans le parc du château de Versailles. Elles ont un côté un peu envahissant, se regroupant pas dizaines sur des arbres (notamment près des restaurants dans le parc) et faisant des bruits peu élégants. Dommage car elles ne sont pas vilaines avec leur couleur verte. Elle n’ont pas l’air agressives, mais elle concurrences les mésanges, en venant manger les graines mises l’hiver par mes voisines dans leur jardin. Elle remplacent aussi à leur manière les pigeons.
    Il faudra s’y habituer, et d’autres oiseaux exotiques vont les rejoindre. Les scorpions commencent eux-aussi à apparaître, notamment au Sud de l’Angleterre!
    Chaud, chaud…

  2. Catherine dit :

    Malheureusement, les perruches ne sont pas aussi charmantes que vous le dites . Je les ai vues à Paris détruire littéralement le feuillage de trois arbres en quelques heures .
    Elles chassent les petits oiseaux de nos régions , pinsons, mésanges er rossignols et sont redoutables avec leur bruit infernal.
    Quand on en voit pour la première fois, on est charmé mais on en revient vite après avoir assisté à cette dévastation.
    Bonne journée et merci pour vos rubriques.
    CB

  3. Daniel Marchesseau dit :

    Bruxelles abrite un nombre impressionnant de perruches, pas unique au parc royal.
    Un de vos fidèles lecteurs

  4. Claude Masson dit :

    En effet, chère Madame, voilà une balade qui séduit toujours ! La recommander n’est jamais superfétatoire. Tous les parisiens devraient s’y précipiter…
    Je voudrais simplement apporter mon témoignage à propos des…perruches.
    Il y a une dizaine d’années, lors d’une découverte de l’ancien domaine de François-René de Chateaubriand à Chatenay-Malabry, dit « La Vallée aux Loups », dans le parc – sublime de romantisme et classé depuis 1982 pour éloigner plusieurs projets immobiliers – mon regard fut attiré par de petites masses vertes, haut perchées, que j’ai pris, au premier regard, pour les fruits d’un arbre que je ne connaissais pas. Que nenni ! Les jardiniers du domaine me détrompèrent rapidement en me révélant qu’il s’agissait de perruches vertes qui avaient élu domicile dans le parc. A l’époque elles étaient peu nombreuses mais déjà les jardiniers regrettaient leur installation. Si exotique et si charmante que puisse paraître leur présence aux promeneurs fugitifs, en réalité leurs cris, leurs moeurs et leur gloutonnerie avaient déjà fait fuir de nombreux petits oiseaux familiers, plus discrets…
    Chassé de Paris en 1807, François-René de Chateaubriand se réfugie à « La Vallée aux Loups », chassées d’on ne sait où, au début des années 1980, des perruches « parisiennes » se réfugient à « La Vallée aux Loups »… Décidément voilà un exceptionnel domaine de… réfugiés !!!

  5. Michèle Puyserver dit :

    Bonjour,
    Je confirme leur présence nombreuse et bruyante au Parc de Sceaux, et j’en ai vu avant l’été quelques-unes place Denfert-Rochereau.
    Pour sauvegarder nos passereaux endémiques, ne pourrait-on , comme pour les pigeons, envisager de leur donner la pilule???sans éliminer les mésanges , moineaux etc…

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