Beethoven plus jeune que jamais

Comment ça 250 ans ? Déjà ! Pas vraiment vu le temps passer et pourtant je suis bien né le 16 ou peut-être le 17 décembre 1770 (jour de mon baptême à l’église voisine de la Remigiuskirche), à Bonn au 515 de la Bonngasse. Aujourd’hui, si vous voulez venir me voir, c’est au n° 20, bâtiment du fond. La porte à deux battants est toujours là, de même que le petit jardin (ci-contre) et la pompe à eau. Les deux guerres qui ont ravagé au XXe siècle l’Europe et mon pays natal ne l’ont par chance presque pas endommagée. Ma maison natale est donc un des rares témoignages des maisons de mon époque à Bonn qui comptait alors 11.000 habitants. Rénovée et bien entretenue, elle est devenue aujourd’hui un musée dédié à ma vie et à mon œuvre, ce qui me réjouit.

Quand je suis né, la maison avait 70 ans et la ville, très dynamique, accueillait la résidence des Princes-Évêques Électeurs de Cologne. L’esprit des Lumières si cher à mon cœur y régnait. L’activité musicale était intense et d’ailleurs mon grand-père, né à Malines – ville faisant alors partie des Pays-Bas espagnols avant la création de la Belgique – et mon père, étaient musiciens à la cour, ce qui facilita mon apprentissage. Quand j’y repense, je me dis que j’ai eu de la chance dès 11 ans de tenir l’orgue à l’office de 6h du matin à la Remigiuskirche, puis à 13 ans, d’être organiste adjoint de la cour où je pratiquais aussi le clavecin et l’alto. Bien avant de partir l’année de mes 22 ans à Vienne où je passais toute ma vie, j’avais déjà composé une cinquantaine d’œuvres.

Vous pouvez aujourd’hui, grâce à un petit dépliant fort bien fait, vous promener dans Bonn en suivant mes traces. Ah les promenades ! Il faut dire que j’aimais beaucoup marcher, surtout dans la nature, au bord du Rhin et dans la campagne environnante. Je vous dirais d’ailleurs que «Ma patrie, cette belle contrée où j’ai vu le jour, est pour moi toujours aussi belle, toujours aussi claire devant mes yeux (…) ; bref, je considère cette période comme l’une des plus heureuse de ma vie».
Je suis en tout cas content que vous puissiez voir aujourd’hui la chambre où je suis né, le clavier de l’orgue sur lequel j’ai appris à improviser, mon bureau et mon dernier fortepiano, celui-là même que j’ai été obligé, à cause de cet affreux handicap qui fut le mien, de doter d’un dispositif pour mieux entendre alors que la surdité me gagnait.

Lettre à Ferdinand Ries. 25 mai 1819

Il y a aussi quelques unes de mes partitions – l’esquisse de ma lettre à Élise de 1810, devenue si célèbre, même si vous ne savez pas qui est Élise… et le manuscrit de ma 6ème symphonie – (plus de 1000 manuscrits originaux), des lettres, des objets, des souvenirs, des meubles, bref, tout ce qui fait la vie d’un homme et qu’il est rare de partager si longtemps après sa mort avec des inconnus qui sont fous de ma musique. Il y a des moments où je pourrais me prendre pour une star ! Imaginez qu’une lettre de moi a récemment été vendue en Amérique 275.000 dollars (quatre fois la somme demandée). Je me demande pourquoi au XXIe siècle, on peut payer si cher une lettre que j’avais adressé à M. de Baumann pour lui demander de me restituer la partition d’un trio pour piano que je lui aurais ensuite rendu avec en plus une sonate pour violon.

On a dit que j’étais le plus grand compositeur romantique avec Berlioz et Wagner ce qui me fait bien plaisir et flatte mon ego, mais je pense que je suis le seul vrai romantique, en tout cas le premier. Et si il fallait être précis, je suis aussi le dernier des classiques viennois après Haydn et Mozart.  Je suis tellement sûr de mon génie et de ma force créatrice révolutionnaire dans son langage – je vous l’avais bien dit, «Je veux saisir le destin à la gueule» – que je n’apprécie guère un musicien qui, comme Mahler dans les années 1900, peu respectueux de ses prédécesseurs, s’est permis de réviser mes symphonies sous prétexte qu’il fallait que ça sonne plus fort et que leur orchestration n’était plus au goût du jour. Certes, j’ai la réputation d’être un peu sauvage, mais tout de même, on peut respecter le génie ! De mon temps, musiciens et public trouvaient ma musique difficile mais je l’ai toujours dit : «Ce qui est difficile est en fait beau, bon et grand». Je suis heureux quand je vois le magnifique destin de ma 9ème symphonie et de son Ode à la joie sur un texte de Schiller, un poète dont je pense «qu’aucun musicien ne pouvait s’élever au-dessus de sa poésie». Mon cœur se gonfle de joie et de fierté quand j’entends ma musique célébrer la fraternité humaine la paix et la liberté de l’Europe, puisqu’elle en est devenue l’hymne.

Je constate en tout cas que tout au long de ces 250 ans qui viennent de s’écouler ma musique a toujours autant de succès sinon plus. J’avais raison quand je disais à propos de mon Quatuor Razoumovski que j’écrivais une musique «pour les temps à venir». Et les temps sont venus. Si Mendelssohn fut un peu mon héritier, on ne compte plus les compositeurs qui se réclament de moi et sont devenus musiciens grâce à ma musique. Wagner bien sûr, qui s’est quand même autorisé à arranger pour piano ma 9ème Symphonie, mais aussi le jeune Webern qui à 19 ans disait «Même Bayreuth ne m’a pas donné le sentiment qu’a fait sur moi le dernier mouvement de la Neuvième», tiens on y revient à cette 9ème. Des compositeurs d’aujourd’hui comme Guillaume Conesson ou Bruno Mantovani me considèrent un peu comme leur père musical. D’autres me rendent plus ou moins explicitement hommage ou s’inspirent de ma musique comme Hindemith, Bacri, Greif, John Adams ou Berio…

Par contre, John Cage n’est pas mon ami, lui qui considérait que mon influence avait été «vaste et lamentable». Quant à Francis Poulenc, il pensait de même. Il y a aussi ceux que j’ai intimidés comme Brahms ou Chausson qui se demandaient quoi écrire après moi ou Schumann, mais ce qui m’interroge le plus c’est la manière dont des musiciens d’aujourd’hui qui n’utilisent pas mon langage, chantent et composent avec des machines, pillent mes oeuvres. Walter Murphy s’est offert le luxe de transformer la 5ème en musique disco (1976), Deep Purple est allé plus loin avec ma 9ème (Beethoven meets Rock, 1985) et la rock star Chuck Berry avec son «Roll over Beethoven» (1956), n’est pas en reste. N’oublions pas les multiples musiques de films qui passent ma musique à la moulinette et les «remix» qui plaisent tant aux jeunes d’aujourd’hui. Voilà ce que c’est que d’être devenu une icône ! Impossible d’endiguer la Beethoven mania de cette année anniversaire… Alles Gute zum Geburtstag Ludwig !

Françoise Objois

À lire
Romain Rolland, « Vie de Beethoven ». Éditions Omnia Poche
« Beethoven et après ». Élisabeth Brisson, Bernard Fournier, François-Gildas Tual, éd. Fayard/Mirare
Intégrale Beethoven 2020, 80 CD, Nikolaus Harnoncourt, Andras Schiff, Itzhak Perlman, Stephen Kovacevich… Warner Classics
Visiter
Bonn, Beethoven-Haus
Expo Hôtel Beethoven, BOZAR Bruxelles
Sur le web
Intégrale des quatuors par le Quatuor Ébène
Photos (©F.Objois):
1-Beethoven Haus – Bonn – fenêtre avec vue
2-Beethoven-lettre à Ferdinand Ries – 25 mai 1819
3-Beethoven- mania – Bonn 2020

 

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4 réponses à Beethoven plus jeune que jamais

  1. vera Dupuis dit :

    Chère Françoise Objois quelle bonne idée d’avoir passé votre plume à Ludwig Van Beethoven pour qu’il raconte sa vie aux lecteurs LSP, pour tout ça merci. J’ajoute car peut être cela lui a échappé, mais en bonne hambourgeoise je suis obligé de le lui rappeler, le concert inaugural dans la Elbphilharmonie en Mai 2017 lui a rendu hommage en jouant le finale, die Ode an die Freude.
    A mon tour : Herzlichen Glückwunsch zum Geburtstag

    • Françoise Objois dit :

      Merci Vera pour votre lecture ! Ludwig n’a pas pu citer tous les concerts et hommages qui lui ont été rendu depuis 250 ans, mais n’a sûrement pas oublié le concert hambourgeois…. Il faudra qu’il reprenne la plume pour un retour sur l’année de son anniversaire.

  2. Hormiguero dit :

    Enfin ! Il m’a répondu !
    Elise
    P.S. Merci de ce courrier passionnant, plein d informations.

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