Quatre saisons, dix-huit épisodes

Il est quand même un peu vexant, parvenu à un âge relativement avancé, de réaliser que les « Quatre saisons » de Vivaldi étaient suivies de six épisodes supplémentaires. Parce qu’elles appartenaient à un ensemble plus vaste réuni en douze concertos sous le titre de « Il cimento dell’armonia e dell’inventione » soit « La confrontation entre l’harmonie et l’invention », concept en soi assez moderne. Vexant comme un chat qui constaterait avec dépit, au soir de sa vie, qu’on a toujours soustrait à sa connaissance, une pièce de sa maison. Vexant enfin de l’avouer à ses proches et de s’entendre dire quelque chose comme « mon pauvre ami tout le monde le savait sauf toi ». Mais gratifiant surtout car six morceaux jamais écoutés du maître sont toujours bons à prendre.

Juste après la fin de « l’été » figure donc « La tempesta di Mare » (presto, largo, presto) puis « Il piacere » (allegro, largo e cantabile, allegro ») ce qui fait bien six divisions. Mais quel bonheur de découvrir qu’il restait ces quelques parts de gâteau en l’occurrence bien dans l’esprit de Vivaldi, c’est à dire aérien à souffler tous les nuages d’un ciel biblique sur la voûte d’une chapelle romaine. Techniquement cela peut se comprendre. Sur un microsillon (1) on ne peut que caser trente/quarante minutes d’enregistrement alors que l’ensemble fait soixante minutes, selon un tempo allègre mais point trop.

La magie de l’époque fait qu’en trois clics, le tout peut se retrouver sur un téléphone puis sur un ordinateur et enfin, on peut écouter cette fameuse confrontation entre l’harmonie et l’invention située, pour un mélomane même moyen, aux frontières ultimes de l’extase. « Oh questo è un bene », que c’est bon. Ce bonus non prémédité n’est d’ailleurs pas sans faire penser à ce petit bijou de double album sorti en 2017 chez Erato, « Dorilla in tempe »(2). Vivaldi y reprenait le thème du printemps mais chanté par un chœur qui convenait parfaitement au thème pastoral. Depuis on a connu des virtuoses de la guitare électrique avec effet wha-wha qui se sont attaqués au même sujet mais l’aspect symphonique y perdait beaucoup, en dépit de la performance technique. Les zélateurs du biniou au passage, ont heureusement choisi de passer leur tour.

Écrire encore et encore sur Vivaldi n’est jamais un problème, tant le clavier de l’ordinateur se voit prêter des ailes afin de rallier sans peine le plus haut des cieux. Vraiment les Vénitiens avaient de la chance de compter parmi eux ce prêtre si inspiré que des siècles après sa musique bouleverse encore, éveillant ainsi toute notre palette émotionnelle. Il était encore un de ces artistes anciens dont on ne connaît pas grand chose de la  vie. Toutes les femmes qui l’entouraient avaient de bien bonnes raisons de coller à son sillage de prestidigitateur. Vivaldi leur apportait ce que la vie ordinaire n’apporte jamais ou si rarement.

Anecdotiquement, il en agaça aussi plus d’un, comme en témoigne une actualité récente. Certaines radios et titres de presse avaient en effet fait écho, il y a tout juste un an, de l’émoi ressenti par les demandeurs d’emploi britanniques qui cherchaient à joindre au téléphone le Département du Travail et des Pensions. Un extrait du « Printemps » y était passé en boucle de quarante cinq secondes et ce depuis quatorze ans. Ce qui fait, rappelait notamment Radio Classique et selon un temps d’attente moyen de huit minutes, que les appelants pouvaient entendre (et supporter) l’extrait une dizaine de fois. Une torture auditive s’il en est. Les entreprises en général, faisaient d’autant plus appel à des compositeurs comme Vivaldi que sa musique, surtout pour les enregistrements les plus anciens, étaient libres de droits. Combien de belles musiques ont ainsi été martyrisées par des économes barbares qui pensaient bien faire.

L’homme aux six cents concertos (tous les mêmes selon ses contempteurs) et 45 opéras, était né le 4 mars 1678 à Venise et mort à Vienne le 28 juillet 1741, enterré avec les indigents. Son magnifique héritage flambe encore sur nos platines, son violon résonne toujours dans nos mémoires accompagné de moult clavecins et mandolines, tandis que sa musique sacrée dépasse encore de loin, en beauté, les attentes les plus folles de Dieu.

PHB

(1) A propos du premier enregistrement des « quatre saisons » (par Gérard Goutierre)
(2) A propos de « Dorilla in tempe »

Print Friendly, PDF & Email
N'hésitez pas à partager
Ce contenu a été publié dans Musique. Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.

3 réponses à Quatre saisons, dix-huit épisodes

  1. Yves Brocard dit :

    Cher Philippe
    Je comprends que découvrir le plaisir (Il piacere) au « soir de sa vie » soit vexant, et même frustrant, mais vaut mieux tard…
    C’est bien de redorer les Quatre saisons (et les deux autres) qui, comme les Impressionnistes en images de toutes sortes, ont été tellement rabâchées dans les téléphones et les ascenseurs, qu’on en fut dégoûté. Cela me rappelle un séjour au Club Med (où j’allais quand c’était encore la mode), où chaque jour la soirée festive était annoncée par un Printemps tonitruant.
    A la fin du premier paragraphe, petite coquille : tout le mode le savait…
    Au plaisir…

  2. Jacques Ibanès dit :

    Et pour prolonger le plaisir, je suggère la lecture du « Concert baroque » d’Alejo Carpentier (Folio) où l’on croise Vivaldi en la bonne compagnie de Haendel et Scarlatti. Ces messieurs font la fête (nous sommes à Venise en plein carnaval) et improvisent un extraordinaire concert auquel se joint l’inattendu Louis Armstrong… Giubilante!

  3. Frédéric Maurel dit :

    Cet article me rappelle également une soirée déjà ancienne (10-15 ans sans doute) à la Cité de la Musique (quand elle ne s’appelait pas encore Philharmonie de Paris) durant laquelle avaient été jouées, entrelacées et en commençant par l’hiver, les Quatre saisons de Vivaldi et celles de Buenos Aires (d’Astor Piazzolla); c’était beau et chouette !
    Mais dans votre votre dernier paragraphe, je modifierais la formule « L’homme (…) était né le 4 mars… » en « L’homme (…) est né le 4 mars… », car c’est vraiment tout ce qui reste à l’homme mort : il est né. Dire ou écrire « Il était né le… », c’est vraiment un anglicisme qui sonne horriblement en français et, tel Don Quichotte, j’essaie de me battre contre ces formulations barbares… Qui vivra verra 🙂 ! / FML

Les commentaires sont fermés.