Sous pression

Normalement, la toute première crise que traverse l’être humain, est celle de l’adolescence. S’il vit dans une oasis à l’abri des problèmes de société, ce même humain devra ensuite affronter la crise réglementaire de la cinquantaine assortie d’une sous-crise de couple et puis la crise tout court, celle de l’âge en soi qui conduit au cimetière. Ce serait déjà bien suffisant d’affronter ces moments de tensions plus ou moins longs, mais la société de tout temps, en a prévu d’autres. Tellement nombreux qu’ils se superposent ou s’enchevêtrent. On peut dire qu’à la crise sanitaire actuelle, toute fraîche, s’ajoutent de longue date la crise économique, la crise sociale, la crise identitaire et on se demande encore comment, dans ces conditions et faute de bistrot, tout le monde n’est pas traité aux anti-dépresseurs et autres tranquillisants.

Karl Marx sur ce sujet avait sa petite idée.  Pour lui, c’était la société capitaliste elle-même et son mode production, qui généraient par essence ce phénomène comparable à une cocotte minute sifflant son niveau de pression maximal. Selon cet authentique penseur, l’exploitation du prolétariat ne pouvait que conduire la société à un déséquilibre, puis à une crise précédant une révolution en bonne et due forme, afin de tout remettre à plat. Il faut bien faire avec ces phénomènes et François Mitterrand qui savait tirer profit de tout, dans un recueil de citations publié en 1995, admettait qu’en France « on ne règle les problèmes qu’avec les crises. Et il faut aller au paroxysme avant de les résoudre ». Si l’on suit bien ses propos, on résoudrait ensuite les crises en recréant des problèmes. Comme disait Ionesco « Prenez un cercle, caressez-le, il deviendra vicieux ».

C’est pourquoi l’on a inventé ce qu’il est convenu d’appeler « les remèdes à la crise » comme pour la mélancolie, la gueule de bois ou la constipation. Ceux qui les élaborent sont ceux qui en profitent. Dans ce domaine infini, on ne compte plus les bons docteurs et les champions des bonnes recettes. Ils se bousculent depuis maintenant plus d’un an sur les plateaux de télévision, sans gêne aucune pour passer d’une contradiction à une autre, d’une obligation à une interdiction. Nous devrions les confiner quinze jours dans une cloche de verre insonorisée, éditorialistes touche-à-tout compris, cela nous ferait des vacances et même un spectacle rassérénant.

À la réflexion, la seule crise qui survient avec un bonheur toujours renouvelé, est celle du fou-rire. Vous savez bien, celui qui intervient en classe en plein cours de trigonométrie, à la messe durant l’homélie ou lors d’une mise en bière. Et plus les sourcils de ceux qui vous entourent se froncent, plus la perte de contrôle est totale. Pour Érasme c’était une faute, lui qui se moquait dans son manuel  intitulé « Civilité puérile et honnête », de ceux qui « en riant » semblaient « hennir » . Voltaire disait de son côté et en substance que le fait de rire vous plaçait au-dessus du motif du déclenchement. C’est un point essentiel en ce qu’il démontre la vertu salvatrice de la dérision.

Autant qu’elle est jouissive, la crise de fou-rire est donc très mal vue. L’actualité ne manque pas de motifs dont il serait aussi fort malvenu de rigoler. Avec un peu de recul, voire à l’aide d’une pincée d’herbe interdite, nous disposons en France d’un gouvernement fort drôle dans sa constance à nous rappeler que l’heure est grave et qu’après s’être glissés sous la porte, les variants sont partout. Les prisonniers de guerre s’y entendaient pour se moquer de leurs gardiens cependant qu’un de ces captifs cité par Jacques Perret dans « Le caporal épinglé » déclarait avec pertinence: « Ils nous feront jamais autant rire qu’ils nous font chier ». Juste remarque, précisément lâchée pour activer les zygomatiques.  Modèle dont on ferait bien de s’inspirer un peu plus souvent. Ne soupirez plus, pouffez mais pouffez donc puisque tout passe, et vous verrez comme ça change.

PHB 

Illustration: PHB
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9 réponses à Sous pression

  1. Jacques Ibanès dit :

    Bonne idée! Tiens, je vais relire « Le Procès » de Kakfa qui m’avait terrifié jadis. Mais j’ai appris par la suite que l’auteur était plié de rire quand il en faisait la lecture à ses amis…

  2. Hélène Delprat dit :

    Oui, bien vu Philippe! Réhabilitons le fou rire, il boostera sûrement nos forces vives!!

  3. sébenne dit :

    J’approuve totalement ! Humour, légèreté, rire…Merci pour cette chronique

  4. Un expert en Yoga du rire, Jacky Canal, propose en ces temps troublés des séances gratuites de rire (sur Internet via Zoom) les vendredis soir.
    Le contacter via son site pour avoir le lien : http://www.jackycanal.com

  5. philippe person dit :

    Ce serait instructif et peut-être amusant si chacun racontait son dernier fou-rire…
    Je dis dernier. Je pourrais aussi dire premier ou seul, car j’ai l’impression que dans une vie on n’en connaît pas tant que ça…
    Je suis toujours étonné de voir dans les « bêtisiers » d’après film que les acteurs ont toujours des fou-rires en tournant des films jamais vraiment drôles…

    Mon dernier fou-rire n’était pas vraiment à ma gloire.. J’accompagnais un ami réalisateur pour voir des comédiens jouant dans une pièce dans un théâtre indigne du nom comme il y en a quelques-uns à Paris, au fond d’une cour.
    La troupe était prévenue qu’il y avait un « fameux » réalisateur cherchant des acteurs. Mais c’était terriblement mauvais. Mon ami n’en pouvait plus… Partons, lui dis-je.
    On fait en sorte d’être discrets. On part à pas de loups. Mais n’ayant pas de loges, les comédiens qui n’étaient pas sur scène attendaient dans le couloir, habillés 17e siècle. On tombe nez à nez avec ses pauvres jeunes gens en sortant… Effarées de nous voir…
    Là, on se met à fuir littéralement, et arrivés au bout de la cour, on est pris d’un fou-rire à la fois coupable et impossible à arrêter…

  6. Minne dit :

    Attention le variant « fou-rire » du covid risque d’arriver . Pour mémoire l’épidémie de « fou-rire » en Tanzanie en 1962. Voir  » Gare au Pilon ! ».

  7. Flourez BM dit :

    Cette très sympathique et bienvenue chronique me fait brusquement réaliser (on dirait aujourd’hui « m’inspire… ») qu’en effet nos débatteurs ne rient pas. Certes l’on voit défiler celles et ceux qui se sont bien entrainés au Media training et qui savent que la voix, le visage et le langage corporel (ou body langage) sont essentiels pour être convaincants vu que personne ne comprend. Mais en effet, point de rires, seulement des sourires placés, dressés, forcés, gymnastiqués même en plein milieu de phrases où s’écroulent des morts.
    Heureusement qu’ils sont là pour nous faire rire.

    Est-ce pour cela que nos débatteurs ne rient pas ?

  8. jmc dit :

    Merci cher Philippe Bonnet.

  9. Laurent Vivat dit :

    « L’éclat de rire est la dernière ressource de la rage et du désespoir », disait Victor Hugo…

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